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Vous voulez découvrir la face cachée de Robinson Crusoé ? Les vices derrière les vertus ? Alors bienvenu dans l’enfer de ma bibliothèque !

Je vais y aller avec doigté. Ne pas égratigner, écorcher les âmes sensibles. Mais si vous rêviez encore d’escapade romantique sur une île paradisiaque pour un séjour de rêve, il est toujours temps de changer de destination car passée cette ligne, le sulfureux ébranle les bonnes mœurs ! Des éditeurs défendent la liberté d’expression. Jouent à cache-cache avec la censure. Tandis que les auteurs s’effacent derrière des pseudonymes pour déjouer les poursuites. Ici, c’est le règne de l’imprimerie clandestine. De la vente sous le manteau. Des poursuites judiciaires. De la mise au pilon. Avant la publication intégrale lorsque les mentalités ont enfin évolué.

Pour préparer ce strip insulaire armez-vous d’un bon guide. « L’Histoire de la littérature érotique » d’Alexandrian fera l’affaire. C’est passionnant à effeuiller mais ça n’est pas un certificat d’excellence littéraire. Sans minauder, les lectures à venir ne sont guère jouissives même si parfois semble-t-il de fines plumes caressent la libido dans le sens du poil, stimulent les fantasmes, inspirent la volupté, excitent les désirs, font hurler … de rire. Car ces robinsonnades sont des parodies qui frisent souvent le ridicule.

J’ai poussé l’orgie textuelle jusqu’à l’écoeurement, l’indigestion. L’érotisme dans la littérature, oui, la littérature érotique, avec modération. Pourtant j’ai l’habitude de la muse gaillarde et des salles de garde.

D’où vient cette curiosité pour l’érotomanie de Robinson Crusoé ? Mystifier le mythe ? Désacraliser le héro ? Le mettre à nu sur le divan du psychanalyste comme on le fit pour Tintin par exemple ? Spéculer sur son homosexualité ? Son puritanisme le vaut bien et son ascétisme ne fait pas long feu. Évidemment, personne n’est dupe. Les hommes ne pensent qu’au sexe et à la bouffe. 19 fois par jour en moyenne. A raison de 28 ans et quelque sur l’île du Désespoir. Je vous laisse faire le calcul. Impossible que cela n’ait pas titillé Robinson. Alors, comment a-t-il bien pu faire sa petite affaire ?

 

 

 

 

Le premier roman que j’ai trouvé sur le sujet c’est « La vie secrète de Robinson Crusoé » d’Humphrey Richardson. Les questions en 4ème de couverture laissent encore planer une fausse naïveté : « […] comment Robinson supportait-il la solitude des longues nuits tropicales ? Comment domestiquait-il ses animaux familiers ? Comment accueillit-il son compagnon Vendredi ? Quelle fut sa vie secrète durant cet exil d’un quart de siècle ? »

La version française signée Michel Gall sous le titre « La vie sexuelle de Robinson Crusoé » est désormais sans ambiguïté. L’édition « J’ai lu », « pour lecteurs avertis », affiche : « L’île, certes, n’est pas tout à fait déserte : sur la plage, il y a des noix de coco, des tortues ; singes et chèvres batifolent en lisière de jungle. Et alors ? Souvenez-vous : Robinson est un homme très inventif ! Mais plus rien de tout cela n’importe quand il rencontre le beau sourire ingénu de Vendredi… »

Dans son long chapitre consacré à « L’érotisme surréaliste », Alexandrian prolonge son paragraphe sur Henry Miller par quelques mots sur ses successeurs et affirme : « Le meilleur roman de la série fut The Sexual Life of Robinson Cruosé (1955) de Humphrey Richardson (c'est-à-dire Michel Gall, qui en donna la version française chez Tchou en 1963). Cette vie sexuelle de Robinson Crusoé relève d’ailleurs d’un érotisme surréaliste, Robinson rêvant qu’il se transforme en femme, dressant un loir à lui lécher le sexe, etc… »

Entre ces pages se mélangent donc plus ou moins crescendo des rêveries érotiques, des fantasmes, des scènes de détente et d’attouchements au bain avec des fruits en guise de sexe toys et une longue vue, des travestissements, la zoophilie – tout y passe : chat, loir, chèvres, singe - jusqu’à l’arrivée de Vendredi et la découverte d’une inversion bestiale, etc… C’est cru, sans ambages !

Du coup, j’ai un peu de mal à faire coller mes impressions de lecture à la définition qu’Alexandrian donne lui-même de l’érotisme-voilé des surréalistes où « la métaphore [qui] laisse à deviner sert mieux l’amour/la poésie, que l’expression qui dit tout. L’érotisme-voilé est en même temps l’érotique-dévoilé : c’est la lueur dévoilant le côté troublant de la chair dans un contexte où on ne l’attend pas. L’érotique-voilé comporte donc un dosage subtil de choses mises à nu, de choses suggérées et de choses tues. Son pouvoir excitant dépend de ce que l’on cache, de la façon dont on le cache et de l’ouverture fait dans le caché pour le rendre perceptible. »

Le passage sur sa pratique du bain précède celle de la souille chez Michel Tournier (1967). C’est l’épisode au cours duquel Robinson découragé par l’échec de son évasion en pirogue, harassé, plonge dans la souille marécageuse des pécaris et sombre dans des hallucinations. Michel Tournier a-t-il connaissance de la version érotique ? En tout cas, il aborde en face le sujet de la sexualité de Robinson, érotise ses relations avec l’île Speranza, successivement mère (régression et renaissance dans le repli d’une grotte utérine) et maîtresse (son éjaculation au creux de la combe donne naissances à des mandragores).

Les pratiques sexuelles de Robinson sont à rapprocher de celles du « têtard » de Jacques Lanzmann qui raconte ses souvenirs de puceau sous l’occupation et son obsession de ne pas vouloir « mourir sans avoir fait l’amour ». Dans l’intervalle d’une 10aine de pages il revisite les fondamentaux de l’amour solitaire, si je puis dire, la pénétration d’une taupinière :

« Après avoir écarté la terre comme on écarte des cuisses et dégagé le trou avec mille précautions, je m’étais débraguetté et allongé sur elle (la taupinière). J’avais pris le pré dans mes bras et, le cœur battant, j’étais rentré tout doucement dans le vagin sec de la terre. Pauvre de moi ! Ça m’avait fait mal en même temps au sexe et à l’amour-propre […] »

Et la saillie d’une vache à l’étable pour imiter un ouvrier agricole qui se tape des chèvres :

« Je suis monté sur un trépied qui servait à la traite, je me suis collé au cul de la Duchesse, j’ai tiré sa queue sur le côté et j’ai rentré la mienne. C’était terriblement chaud et grand et je suis parti en elle presque instantanément. Après j’ai été pris d’un grand dégoût parce que je m’étais mis à penser que ma première femme était une vache. »

Poursuivons avec « La culotte de feuilles » de Jacques Serguine. L’héroïne, délurée, débridée est débarquée d’un bateau de croisière sur une plage isolée. Déboussolée, elle pense plus à assouvir son désir qu’à chercher des secours et améliorer ses conditions de vie. Sa lubricité, ses attouchements, ces tiges de fleurs qu’elle se coulisse dans le fondement ou dans le sexe et dont elle s’affuble, finissent par lui jouer des tours. Elle aguiche un singe qui prend goût à la sodomiser bestialement jusqu’à la laisser pantelante, effrayée, blessée. Il se cramponne à elle encore, encore et … encore.

Cette séquence s’inspire-t-elle de « La vie sexuelle de Robinson Crusoé » et des brefs ébats de Robinson et du singe Zizi ? L’animal prenant goût à la culbute, s’accroche frénétiquement aux fesses du naufragé au point qu’il doive l’enfermer avec les chèvres. L’animal les saillit tant et si bien qu’il défaille d’une crise cardiaque à la fin.

Ce long running gag devient vite franchement malaisant. Ce sadisme renvoie pêle-mêle à une imagerie de prédation, d’enlèvement, d’agression sexuelle, de soumission violente sur fond de stéréotypes raciaux. En effet ces images confuses proviennent d’une époque où l’on bricolait la généalogique de l’humanité, l’arborescence des parentés entre hommes et primates, quitte à imaginer des chaînons manquants baptisés quadrumanes ou pithécanthropes, à créer des amalgames racistes entre singes et indigènes, voir des hybrides, des monstres. Mais peut-être s’agit-il d’une innocente perversion ! A moins que je sois trop chochotte pour ce genre d’ouvrage.

La suite redevient lisible à mon goût, Sandra sauve Mauricette de ce qu’elle croit être un festin cannibale. Elle se sent toute menue à côté de celle qu’elle compare à un pachyderme. Or l’indolente Mauricette semble insensible aux jeux sexuels. Pour attiser son affection, ses gestes tendres, Sandra s’infantilise et se laisse vivre et cajoler comme un bébé qui prend la tétée au sein de sa Nounou. Et ô surprise la petite fille découvre les voluptés de la fessée. C’est d’ailleurs une marotte chez Jacques Serguine qui publia « L’éloge de la fessée ». Selon lui une pratique érotique qui relève du dialogue amoureux. Enfin, débarque un homme qui deviendra l’amant de l’une et de l’autre des femmes et des deux à la fois.

« Les Robinsonnes » est signé Laure de Sevetan, un pseudonyme de Georges Arnaud connu pour avoir publié près de 416 romans dans différents registres : science fiction (« La compagnie des glaces »), policier, espionnage et quelques 75 romans érotiques tout de même. Celui-ci est en lecture libre sur le site de la BnF.  

« Les Robinsonnes » est le récit de l’éducation sexuelle d’une adolescente naufragée en compagnie de sa gouvernante Miss Flora. Capricieuse, Laure rechigne d’abord à transborder des marchandises de l’épave mais une bonne fessée la pique au vif avant de devenir un jeu érotique dans lequel Miss Flora excelle en dominatrice.

Chaque jour devient alors l’occasion de tourner les pages de chapitres érotiques. Une éducation lesbienne vorace et insatiable jusqu’à la découverte d’un bagnard naufragé qui vit paisiblement au milieu de ses chèvres sur l’autre versant de l’île. La dominatrice se fait sadique. Le piège. Le ligote. Le met en cage. Abuse de son priapisme sous le regard concupiscent de Laure. Miss Flora accapare Jonas sous prétexte de ramener Laure vierge à son père. En réalité elle souhaite garder le contrôle de sa sexualité et ne jamais être un objet de plaisir masculin.

Mais le tendron et le bagnard n’ont d’yeux que l’un pour l’autre. Ils s’évadent et se cachent dans un cabanon de montagne. Laure découvre alors les affres de la défloraison et de la pénétration anale virile.

L’arrivée sur l’île d’un esclave indigène réveille chez Jonas un désir homosexuel refoulé depuis l’époque du bagne au grand regret de Laure qui vacant seule sur la plage fait du bateau-stop, abandonne ses compères sans état d’âme et retrouve son père au Pérou.

 

 

Puis vient « Vendredi 13 », un « roman à la noix de coco » de Pat Achon dont la 4ème de couverture fleure bon l’espièglerie. Pour faire court notre Robinson monte à Londres, découvre l’amour dans les bras d’Elisabeth Swatson, une femme d’armateur, puis de sa fille Grace. L’homme est évidemment sans cesse absent et ne souffre pas du cocufiage. Mais lorsque la situation est éventée, Robinson doit mettre les voiles.

Sur son île il observe les animaux forniquer. Le singe Kiri astiquer Blanchette la biquette. Puis débarquer un beau couple indigène qui cèdent à la levrette avant d’être alpagués par des cannibales. Robinson tire à l’aveuglette et sauve Vendredi. Ensemble, ils vivent une grande robinsonnade d’amour où l’on retrouve les ingrédients de la survie et de l’homosexualité avant de rentrer en Angleterre où Robinson est accueilli en héros, anobli, mais Elisabeth est morte et Grace ne l’a pas attendu. Tenaillé par l’amour de Vendredi, Robinson reprend la mer.

Le roman est plutôt agréable à lire et lorsqu’il est réédité 5 ans plus tard sous le titre de « Vendredi sauvage », c’est avec une couverture clairement « gay ». Mais non ce n’est pas une nième parodie !

« L’île aux délices » est signé Anne de Launay. Ce pseudonyme renvoie à un personnage du divin marquis de Sade. Il cache en réalité une écriture à 4 mains, celles de Raoul Vaneigem et de Marie-France Planeix. Raoul Vaneigem est un intellectuel belge, médiéviste de formation, un fondateur de « l’internationale situationniste », un mouvement d’obédience anarchiste, un collaborateur de Siné Hebdo et ardent défenseur de la liberté d’expression.

« L’île aux délices » est un calembour qui fait référence à « L’île à hélices » de Jules Verne. Sa couverture est aguicheuse. Son contenu renvoie par contre à « L’île des esclaves » de Marivaux dit-on. Pourquoi pas après tout. Ça ne m’était pas apparu au premier abord !

Le roman n’est donc pas si iconoclaste qu’on le prétend alors. En tout cas l’expression, les déconnades, ravivent dans ma mémoire les grandes fresques orgiaques du dessinateur Dubout et les scènes rabelaisiennes de la sexualité Berrurienne qui émaillent la collection San Antonio. C’est assez déjanté !

Le récit se déroule en deux temps : une croisière d’aristocrates lubriques qui s’amusent, forniquent sans égards pour la domesticité et l’équipage (façon « Sans filtre » de Ruben Östlund primé au festival de Cannes), le naufrage (sur un air de propagande marxiste et de révolution prolétarienne dans « Sans filtre »), la survie et le renversement des valeurs sur l’île.

Evidemment une lutte des classes sado-maso s’instaure entre les protagonistes mais l’orgie sexuelle crée une sorte de compromis qui aplanit les relations sociales et contribue à l’épanouissement et à la liberté de chacun. Un monde à la bonobo ! En définitive les naufragés refuseront de se rendre aux secours portés par un intégriste et un businessman et décideront de vivre cachés. Je vous passe les détails fantaisistes, croustillants et réjouissants d’un final explosif.

Les délirades sexuelle cachent en effet bien une vraie critique politique. Dans son chapitre « Naturalisme, anarchie et sexualité » Alexandrian met d’ailleurs en évidence un courant érotique libertaire dont la devise amoureuse serait « A l’égout la descendance et vive la volupté perpétuelle » et dont l’objectif est de placer les aristocrates dans les situations pornographiques les plus abjectes pour dénoncer l’immoralité de leurs mœurs et de leur mentalité.

Dernier roman, « La Lorelei du pacifique » de Sylvain Gemeau. Une arnaque. Le nu en couverture est prometteur. La collection « Eroscope » sans ambiguïté. Mais quetchi. Rien. Nada. Ou presque…

Ce roman de gare se lit comme un polar. Un long courrier est détourné par des terroristes anticapitalistes, une échauffourée éclate avec une vedette de cinéma d’action, des tirs dépressurisent l’appareil qui explose en vol. L’acteur mûr, Charles Santi et Ulla, une jeune et jolie terroriste se retrouvent seuls sur une île déserte. Entre disputes d’idées, anathèmes, insultes, excitation, désirs refoulés, entraide et dégoût, le récit traîne en longueur sans la moindre scène érotique.

Pourtant les premières pages nous projetaient dans l’univers d’Emmanuelle d’Eric Losfeld. Santi et une passagère aguicheuse s’envoyaient en l’air dans les toilettes de l’avion. Cela semblait être un prélude au culte du plaisir des sens affranchi de toute morale, mais non !

Il faudra attendre les toutes dernières pages pour qu’un troisième larron sorte comme un diable de la jungle, un prêtre déboussolé, déséquilibré par les évènements qui agresse Ulla, la laisse pour morte. Après l’avoir vengé, elle se jette enfin dans les bras de Santi. Les deux rescapés font alors la sourde oreille aux secours pour éviter la prison à Ulla et vivre heureux dans « le lagon bleu ».

Pour finir : du cinéma, de la bande dessinée...

 

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