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Avec 170 romans au compteur. Presque autant de succès de librairie. Konsalik est un stakhanoviste de l’écriture. Sa recette ? Le travail. Il écrivait une 10aines de pages chaque jour dans un état de transe, de frénésie. « Il ne faut pas être paresseux ». Ne revenait jamais dessus. Tant pis pour le style - familier, parfois grossier jugent certains – « Je n’obtiendrais jamais le Nobel ! » - il cherchait l’efficacité.

Du coup la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. La cohérence du récit. L’originalité non plus. Des personnages stéréotypés. Des situations clichées. A son crédit tout de même, on voyage. On voyage même beaucoup. J’ai déjà fait en sa compagnie la Nouvelle Guinée, les Galápagos, la Sibérie. Et aujourd’hui on décolle pour la Polynésie.

Les robinsonnades sont un de ses pêchés mignons. J’ai déterré une pépite du cimetière des livres oubliés : « Mourir sous les palmes » suivi de « Aimer sous les palmes ». Un petit bijou ! Konsalik y déroule son récit au fil de la plume en suivant cette main courante invisible des versions précédentes. Le texte est plus inspiré, plus fluide, mieux articulé, les personnages un poil moins caricaturaux, les rebondissements plus cohérents, les réflexions plus justes. Si j’en crois le bariolage fluo de mon exemplaire, il y a de bonnes choses à retenir de cette lecture.

Parti en croisière en Polynésie avec femme et enfants, Werner Bäcker essuie une tempête. Malgré son habitude de la navigation, son voilier chavire. Il parvient seul à monter à bord du canot pneumatique de secours et voit les siens emportés par la mer et dévorés par les requins.

Il émerge sur une île, grièvement blessé. Survit contre sa volonté, à l’accablement et à la culpabilité. En colère contre Dieu. Contre la mer qu’il invective. Et lorsque sa fracture est enfin réduite, il peut claudiquer et découvrir son île, construire un cabanon, pécher, monologuer avec un albatros pour seule compagnie.

C’est alors que la mer dépose à nouveau un couple de naufragés : Paul Shirley, un enquêteur de police et Anne Perkins, la présumée meurtrière de son mari qu’il déferait au tribunal. Werner a le coup de foudre pour cette jolie femme. Les deux hommes débattent de sa culpabilité. Et Bäcker impose son autorité sur l’île en improvisant une parodie de procès au terme duquel un doute raisonnable subsiste et débouche sur la relaxe. Cela n’a évidemment rien d’officiel et ne résout pas leur contentieux.

Pour empêcher Shirley de tirer une fusée de détresse au survol d’un avion, Bäcker se jette sur lui et la fusée lui explose au visage. Il est gravement brûlé et défiguré. Cet acte héroïque d’amour inconditionnel lui ouvre définitivement le cœur d’Anne. Ils vivent désormais en couple sous le regard d’un Shirley impuissant qui espère retourner la situation à son avantage.

Lorsque Anne tombe enceinte les deux hommes s’accordent pour creuser une pirogue afin qu’elle accouche en lieu sûr. Ils s’accordent également sur celui qui se sacrifierait en cas d’épuisement des provisions pour augmenter les chances des autres survivants. Mais après quelques semaines de navigation, Shirley perd la tête et manque de faire chavirer la pirogue. Une empoignade s’en suit. Il tombe à l’eau et se fait dévorer à son tour par des requins. Un mois plus tard la pirogue a tourné en rond et accoste sur l’île.

Cinq ans se sont écoulés lorsqu’une équipe de journalistes en provenance de Hambourg amerrit en hydravion. Ils couvrent une opération de sauvetage de Werner depuis qu’on a retrouvé une bouteille jetée à la mer au tout début de l’aventure et contenant un appel au secours qui a ému les lecteurs.

Werner fait passer Anne pour sa défunte femme afin de lui éviter un procès. Mais le comble c’est que son beau frère a été jugé coupable entre temps. Trop tard pour revenir sur leur mensonge. Ils retournent en Allemagne pour une tournée des médias. Et leurs faussent compagnie pour rentrer vivre sur leur île.

Quelques années se sont écoulées. Les Bäcker nagent dans le bonheur. Leur fils Paul a grandi. C’est un éphèbe, bien dans sa peau, bien dans sa tête. Mais sans le savoir, l’île est devenue l’enjeu d’un différent avec les tribus Papous voisines car c’est une île sacrée sur laquelle ils déposent les dépouilles de leurs morts. L’obstination des Bäcker fait monter les tensions. Les autorités françaises tentent de déminer la situation mais n’empêchent pas des représailles armées. Les Bäcker résistent. Werner profite de l’occasion pour mettre son fils à l’abri à Papeete sous prétexte de lui permettre de découvrir le monde tel qu’il est.

C’est ainsi que Paul part en stage au sein d’une entreprise d’exportation de conserves d’ananas. Il est choqué par la façon indigne dont le patron, Jean Luc Dubonnet, se comporte avec ses employés, ainsi que par ses magouilles commerciales. Il décide de quitter la villa pour un quartier populaire.

Il y croise une jeune prostituée de toute beauté dont il tombe amoureux et qu’il tente d’arracher à sa condition. Malheureusement il est black listé par les contremaîtres qui lui coupent les vivres et l’empêche de subvenir aux besoins du couple. Avec l’aide des Grands Six, une société secrète qui s’oppose aux intérêts occidentaux dans les îles, Paul parvient à rentrer chez ses parents. Le voyant malheureux, son père part faire le tour de l’archipel afin de lui trouver une compagne. Un sorcier Papou fanatique en profite pour l’assassiner.

C’est le début d’une vendetta qui prend fin quand une violente tornade rase littéralement l’île et la métamorphose. Seul Paul survit et se cache des géologues venus cartographier cette nouvelle île sortie de la mer, des Papous venus ériger une nouvelle idole et déposer à son pied une jeune femme en sacrifice. Paul la sauve d’une mort certaine, la séduit, leur construit un refuge tandis que Rainu végétalise leur domaine et crée un jardin.

C’est un ami de la famille qui ne croit pas en sa mort qui découvre Paul. Convoie du matériel. Lui apprend qu’il a hérité d’une fortune de son père. Il l’investit dans l’achat de l’entreprise de Dubonnet victime d’une maladie invalidante et en cède la gestion aux Grands Six en contre partie d’une négociation de paix définitive avec les indigènes hostiles.

 

L’île est devenue le huis-clos d’un triangle dramatique. Un scénario habituel chez Konsalik. Un chaudron où marinent victime, persécuteur et sauveur. Ici, Anne, est une victime aux abonnés absents. Une adorable potiche. « Un ange de Botticelli » (Une Vénus plutôt, non ?). Paul Shirley une brute. Werner Bäcker la pièce centrale de ce mélo.

Immédiatement sous le charme d’Anne, il se démène pour rendre la justice, la disculper et résoudre la situation en sa faveur, c'est-à-dire obtenir le respect et l’amour de celle qu’il a convoité au premier regard. « Vous êtes ici sur mon île, où je règne en souverain ». Son acte d’héroïsme assigne Anne au rôle d’infirmière de chevet. Infirmière qui cède par compassion, par amour j’espère, au droit de cuissage du suzerain de cette île.

Paradoxalement, le patacaisse qu’il a monté en épingle et entretenu fait dire à Werner Bäcker que « l’enfer c’est les autres ».

« Il faudra bien nous supporter avec nos convoitises, nos passions, notre sottise, notre haine. Il n’y a pas de paradis, il n’existe que des enfers déguisés ».

Il fait évidement référence à Jean-Paul Sartre dont la réplique est déjà célèbre pour signifier « que la vie en société, celle qui nous oblige à supporter autrui, est infernale. Les rapports avec les autres seraient par nature éprouvants, violents, voire insupportables. » L’auteur s’est ensuite expliqué sur cette citation et apporté une explication un peu différente à la compréhension. L’enfer c’est le regard des autres et ce à quoi il nous assigne.

Ce triangle dramatique est bien pratique pour faire progresser un récit où tour à tour chacun des personnages peut changer de rôle pour entretenir le suspens. Mais c’est à un autre schéma, binaire celui-ci, que font référence la plupart des romans sentimentaux que j’ai pu collecter. La rencontre d’un homme et d’une femme sur les principes de l’attraction des semblables ou de l’affinité des contraires sur un modèle hétérosexuel, celui d’une masculinité virile et d’une féminité soumise. Mais je ne suis pas sectaire !

Le déroulement est toujours un peu le même. Le naufrage ou le crash, la survie, rebattent les cartes du destin. Fi des distances sociales et professionnelles, bien que perdure un temps parfois des relations de subordination patron/secrétaire, professeur/élève par exemple. Les rivalités qui animent les survivants, leurs décisions et leurs mises en œuvre, démontrent que le plus adapté n’est pas celui qui croit l’être. L’autorité « naturelle » cède alors le pas à la collaboration.

Homme et femme sont précipités dans une cohabitation contre leur gré, alors même que le « déclic » n’a pas eu lieu. Leurs chamailleries renvoient à l’idée reçue du « vieux couple » mais ne sont après tout rien d’autre qu’une phase de dérèglement avant que chacun ne trouve ses marques. Tout devient le sujet de négociation et d’organisation. Au fur et à mesure, les épreuves créent une intimité, une histoire commune, contribuent à faire tomber les masques, les barrières et rapprochent les personnages malgré leurs différences (âge, profession, milieu social, patrimoine, etc) à tel point que le ménage vire devient vie conjugale.   

 

 

Ce n’est ni plus ni moins ce que certains aventuriers de Koh Lanta vendent à l’écran. Interrogé sur la sexualité des candidats, Denis Brogniart a toujours répondu qu’avec la fatigue, le manque d’hygiène et de nourriture, la libido des uns et des autres était en berne. Cela n’a pas empêché des couples de se former au retour du séjour insulaire.

Benoît et Jeta par exemple continuent d’afficher leur bonheur d’abord dans « La bataille des couples » et désormais dans « Mamans & célèbres ». Les influenceurs.ses jouent au couple parfait. Une entente forgée sur le brûlot des épreuves de survie. Mais qu’en resterait-il si d’aventure ils passaient sur le grill de « L’île de la tentation » ?

D’autres sujets émergent à la lecture. A commencer par le grand retour de Dieu. Un Dieu honni d’abord parce qu’il brise le destin d’une famille heureuse. Qu’il impose des épreuves douloureuses. Et en même temps le sentiment que la Providence pourvoie aux soins et aux besoins : la pluie qui désaltère, qui lave, qui purifie, le soleil qui soigne le corps meurtri, l’oiseau qui veille comme un ange sur le naufragé qui monologue avec lui pour tromper l’ennui et déjouer la folie. « Dieu était présent dans l’île ».

Une religiosité qui tourne petit à petit au déisme : « Dieu existe. Le nom que tu lui donnes n’a pas d’importance. Il est là, tu le vois chaque jour, je sais que tu Le vois. Ça suffit ».

En tout cas le récit est émaillé de références bibliques, à la création et au Paradis. D’abord dans le regard que Werner porte sur l’île et son paysage. « Il parcourut du regard l’île au loin et fut certain d’avoir trouvé le Paradis. » En quoi consiste-t-il ? Un soleil brûlant, un ciel sans nuage, une végétation luxuriante, des palmiers, des manguiers, des fleurs aux parfums provocants, à la suavité prodigue, des buissons, des fougères, des criques, des plages, des récifs de corail, une variété d’oiseaux inconnus. « Le Paradis est vraiment comme on le décrit dans les livres d’enfants. » C’est plutôt un cliché de brochure touristique !

Ensuite dans le vertige que produit l’apparition d’Anne, cette Vénus sortie des eaux de Botticelli. « Elle est ici comme au premier jour de la Création, comme si tout devait recommencer. » Mais concrètement « tout recommencer » revient selon lui à vivre à la Néanderthal. Mieux admet-il puisqu’il dispose de quelques ustensiles.

La question religieuse, celle du sanctuaire que représente l’île, est aussi le motif qui oppose les indigènes Papous aux Bäcker. L’assassinat, l’immolation, de Werner est en quelque sorte commanditée : « Les dieux l’ont voulu, dit le vieil homme. » Et les valeurs de Paul sont mises à rude épreuve. Il prie pour que Dieu retienne sa juste vengeance :

« Mon Dieu, pensait-il, mon Dieu, retiens-moi ! Ne déchaîne pas l’enfer en moi. Ils l’ont (Werner) jeté en pâture aux requins […] Ô mon Dieu qui supporterait cela ? Que signifie encore : aime ton prochain ? Pardonne à celui qui est coupable envers toi ? Aime ton ennemi ? »

La réponse vient de Dieu lui-même qui balaie l’île d’une tornade et renvoie chacun à ses préoccupations. Les Papous sculptent un nouveau totem. Paul recrée un Paradis où il vit caché avec sa jeune femme.

Dans le second tome Konsalik s’intéresse également aux questions éducatives. Paul est un éphèbe parfait. Le pur produit d’une éducation naturelle. Mais Dubonnet ne voit en lui qu’un enfant sauvage :

« Tes parents t’ont laissé grandir sur ce fumier d’île à la manière de Tarzan. […] Ils ont voulu faire de toi un « homme idéal » et il en est résulté un indécrottable rêveur. »

Cette vision de l’éducation est tirée certainement du récit autobiographique de Margret Wittmer « Les Robinsons des Galápagos ». Elle témoigne de leur exil dans les années 30 sur l’île de Floréana et de leur difficile vie en autarcie avec 3 enfants. On retrouve d’ailleurs l’ambiance des visites régulières de curieux, d’officiels, de militaires et du bonheur familial lorsque Konsalik écrit ses pages sur l’intervention des militaires français venus assurer le maintien de l’ordre face à l’hostilité Papou. L’histoire des Wittmer a fait le tour du monde et l’ouvrage de Margret a eu du succès. C’est sans doute une source d’inspiration pour Konsalik. Surtout lorsqu’il s’agit de vie intime et de mariage.

Il y a nécessité pour Paul de découvrir le monde et la sexualité d’ailleurs - sa mère ne peut pas être sa seule référence féminine réagit Werner : « Faut-il qu’il devienne un nouvel Œdipe ? ». Autre angoisse, que son fils lui reproche pas un jour cet exil. « Père, qu’as-tu fait de moi ? Un morceau de ton île ! Est-ce là la signification de ma vie ? » gamberge-t-il.

Toutes ces réflexions me rappelle « Captain Fantastic ». Son choix d’éducation hors du monde, proche de la nature, mais pas exempte de culture. Une éducation aussi livresque qui vise à faire d’eux des « philosophes roi » selon l’expression de Platon pour qui le politique devait être en capacité de distinguer le Bien et le Juste. Dans plusieurs scènes, la petite tribu fait la démonstration de ses connaissances en matière politique et spirituelle.

Mais lorsqu’ils sortent des bois pour les obsèques de leur mère et qu’ils se frottent au reste du monde, l’aîné constate à quel point leur désocialisation les rend inapte à la vie en société. Il décide alors de voir le vaste monde. Dans l’aéroport la petite famille se quitte aux cris de « mort aux vaches », un cri anarchiste ! Référence que Paul aurait tout aussi bien pu faire car le seul livre qu’il cite est « La société sans classes », un ouvrage…anarchiste.

Mais alors comment expliquer qu’un accident devienne un choix de vie ? L’exil insulaire est l’expression d’un raz le bol général que Werner traduit ainsi à Shirley : vivre en autarcie c’est vivre « sans problèmes, sans soucis, sans politique, ni guerres, ni inflation, ni étudiants gauchistes, ni impôts, ni élections truquées, ni peur, ni famine, simplement libéré de tout ce qui rend le monde malade et idiot ». Ça vous parle ?

Et malgré les concessions, « beaucoup de sueur, de désespérance », c’est surtout « un grand amour et une métamorphose profonde de leur être, une haine vaincue, mais avant tout la foi dans la beauté foncière de l’homme ». En cela il est le porte voix d’une génération de skippers qui sont partis en Polynésie vivre piano piano et qui remplissent les étagères de rêveurs tels que moi.

Pour finir c’est une rallonge du mythe de la femme polynésienne. Lorsque Paul libère Rainu au pied du totem voici sa vision : « Une longue chevelure noire, luisante, se répandit hors des liens, un mince et jeune visage d’une beauté saisissante au grands yeux en amande, aux lèvres épanouies, entrouvertes comme pour un cri, émergea sous ses yeux. Les guirlandes tombèrent lentement à terre, libérant un corps dénudé, enfantin, épaules étroites, seins fermes et ronds, ventre plat et de longues jambes fines ».

Fantasme de la vahiné ? Dans son « Voyage autour du monde » Bougainville décrivait l’arrivée à bord de La Boudeuse, son 3 mâts, d’une jeune tahitienne. Elle « laissa tomber négligemment un pagne qui la couvrait, et parut aux yeux de tous telle que Vénus se fit voir au berger phrygien ». Le mythe de la vahiné et de la « Nouvelle Cythère » venait de naître. C’est surtout le stéréotype de la Vénus qui perdure pour décrire une beauté saisissante !

Pour finir, quelques pages du roman consacrées à la vie naturelle de Paul et Rainu : la mer, les vagues, la plage, la pêche au harpon, la beauté de la jeune femme, l’amour …m’ont renvoyées aux émotions de lecture de Le Clézio : « Chercheur d’or » et « La quarantaine ». Qui l’eut cru !

 

 

Konsalik convie ses lecteurs.trices pour une dernière robinsonnade dans les mers du sud, aux Tonga plus précisément, avec « La baie des perles noires » suivie de « La baie des requins » en fin de carrière. Cette fois un naufragé est recueilli sur une île oubliée par une tribu qui y mène une vie naturelle en totale autarcie. Ils ignorent la richesse sur laquelle ils sont assis, un banc, une vraie mine de perles naturelles quand l’ensemble des joailliers se satisfait de perles de culture. Pour amener un peu de confort sur l’île, il négocie ces perles à Papeete mais déclenche malgré lui la convoitise de mafieux qui débarquent alors avec la ferme intention de faire main basse sur cette fortune. L’affrontement est inévitable pour protéger l’île de la civilisation prédatrice…

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