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J.M.G Le Clézio ! Une délicieuse plaisance dans l’archipel des livres auquel m’a invité Florence Locajono dans ses articles sur les « Robinsonnades ontologiques ». Les Mascareignes : Maurice, Rodrigues, Plate, Gabriel, etc sont le théâtre de son cycle mauricien. J’ai enfourché les lectures de « Voyage à Rodrigues », « Le chercheur d’or » et « La quarantaine ». 1000 pages enchaînées de pure sidération devant cette robinsonnade si singulière. Jamais. Jamais je n’aurais eu l’idée d’ouvrir ces romans. Jamais mes requêtes n’avaient convergé vers J.M.G Le Clézio. Mais une fois l’enquête engagée, tous les critiques se sont mis à table ! Un monde tout de même !

Il s’agit de trois autofictions. A souhait emmêlées. Subtilement touffues. Confondues. Confuses. Labyrinthiques. Pour jouer avec le lecteur au jeu du chat et de la souris. Un chassé croisé entre réel et imaginaire, une réécriture du récit familial tout en lignes brisées, en souffrances contenues. Une psychothérapie ? Un exorcisme ? Difficile de sabrer ce nœud gordien. Mais il y a beaucoup d’articles très passionnants sur le sujet. Fouillez !

Au travers de ces 3 romans J.M.G Le Clézio s’inspire de sa saga familiale et en réécrit les zones troubles et manquantes. Les romance au point d’en faire une épopée imaginaire. Un récit mythique. A tel point que les critiques font appel au spécialiste du genre, Mircéa Eliade, réputé pour son « Images et symboles » et « Mythes, rêves et mystères » pour en éclairer les contours.

Ça me rappelle les longues heures que j’ai passé justement à feuilleter le « Dictionnaire des symboles » de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant. C’est avec les « Synonymes » - que mon père et mon oncle consultaient à tour de courriers – une source d’inspitration. Ils sont pour moi comme « Le dictionnaire de la conversation » pour J.M.G Le Clézio auquel il doit dit-il « les plus grandes émotions de mon enfance. Cet ouvrage rébarbatif, écrit en grande partie dans un français vieilli, m’apparaissait comme fait de la matière même du rêve. Et quel rêve extraordinaire ! C’était un monde dans un livre. »

Il n’y a pas de Nobel de littérature – j’imagine – sans une œuvre charpentée. Une langue. Je suis servi. Enchaîner les romans donne le vertige. Les mots, les impressions, les sentiments tournent en boucle. Une répétition qui chasse les pensées parasites. Les 1000 pages sont comme un mirage. Une tranche d’éternité. Un univers intériorisé où malgré le contexte, les dénonciations du fait colonial, de l’esclavagiste, des ségrégations sociales et raciales, de la morgue du club très fermé des propriétaires terriens, plane un parfum d’innocence et d’exotisme. Et plus on se fond dans ces îles et plus s’impose la sagesse d’une vie naturelle.

« Voyage à Rodrigues » est le journal romancé de l’enquête que mena J.M.G Le Clézio sur les traces de son grand-père qui y vécut près d’un quart de siècle dans l’intention d’y trouver un trésor – celui du Privateer dit La buse – afin de réhabiliter son honneur et racheter la propriété familiale dont il a été chassé après l’avoir hypothéquée.

Ce voyage à Rodrigues est une façon de crever le secret de famille qui hante plusieurs générations et pacifier les relations que J.M.G Le Clézio entretient avec la mémoire de ce grand-père idolâtré mais dont l’étrangeté surprend.

L’île devient un lieu de mémoire exceptionnelle qui recèle la vérité sur ses motivations, son existence, loin de sa famille qu’il a abandonné à elle-même et qui garde toujours, plusieurs décennies plus tard, les blessures, les cicatrices de cette absence et l’incompréhension. Comment peut-il avoir cédé ainsi à la fièvre de l’or ? A cette chasse au trésor insensée ? Comment peut-il s’être entêté si longtemps dans son erreur ? Jamais J.M.G Le Clézio n’exploitera les ressorts de la psychologie pour essayer de comprendre l’obsession, les troubles, l’aliénation de ce grand père, ni l’impact de son absence sur sa famille, ses descendants.

C’est sur site qu’il cherche sa vérité. L’île livrera-t-elle ses secrets ? C’est du moins le pari de l’auteur :

« […] il me semble que c’est bien le seul lieu du monde où je puisse penser à mon grand-père comme à quelqu’un de vivant.

Visibles encore, comme sils dataient de la veille, les coups de pioche qu’il a donnés sur la paroi du ravin, au fond du cul-de-sac, à droite et à gauche. Visibles, les efforts qu’il a fait pour déplacer les blocs de lave qui formaient le verrou d’entrer du ravin […]. »

A son tour il revit les faits et gestes de ce grand-père. Relit les cartes, les documents conservés dans une malle, élucide les énigmes, prospecte, cherche les signes de piste, se laisse envahir par le paysage - la rudesse de la roche basaltique - bercer par les vents, la mer, comme si vivre cette expérience l’éclairait sur son grand-père ! C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit. Il a d’ailleurs la révélation de ce que son grand-père a découvert. Il s’agit d’autre chose que le leurre de l’or. C’est un art de vivre qui n’est pas sans rapport avec les robinsonnades. Du moins celle de Michel Tournier.

Je me souviens alors de l’essai d’Alain Borer « Rimbaud en Abyssinie ». L’auteur à peine descendu d’avion s’immerge dans Harar, s’imprègne du paysage éthiopien. Un paysage intemporel où l’auteur cherche les indices du passage du poète. Il se met en état de « voyance » : « Je vois ce que Rimbaud a vu ». Mais…

« Malgré sa présence diffuse, j’ai le sentiment que Rimbaud, à Harar, est absent de tout lieu : des maisons où il vécut et qui furent emportées par les pluies, des boutiques et du marché où chevauche notre imaginaire, autant que de cette maison inventée, « Rimbo house » ! qu’il eût peut-être aimé habiter, qui représente son imaginaire à lui, son château poursuivi. Puis-je seulement me représenter l’absent, le fugitif ? »

A l’instant où je recommande cet essai je ne sais pas encore l’importance de Rimbaud dans l’œuvre de J.M.G Le Clézio. Mon intuition c’est d’abord la démarche : marcher dans les pas de pour être au plus proche. Vivre. Vibrer. Percer la vérité ! Jusqu’où mène la révolte adolescente ? Pourquoi cette rupture ? Quelles chimères ? Ce silence si soudain. La solitude. L’usure du trafiquant sur les pistes. L’agonie à Aden. Le rapatriement à Marseille. Maman… Je ne savais pas, alors, ce que cette relecture avait de prémonitoire. Un effet du hasard ou faut-il croire à la nécessité des hasards ?

Un autre auteur me vient immédiatement à l’esprit. Un passionné de Rimbaud également dont il illustre les « Lettres d’Afrique ». C’est Hugo Pratt. J’ai visité Venise sur les traces de ce spéc dandy de Corto Maltese, féru de kabbale, d’ésotérisme, de cartomancie, de cartographie, d’îles, de chasse au trésor, de devinettes. J’ai adoré « En Sibérie » et « La maison dorée de Samarkand ». Je n’ai jamais lu « Les éthiopiques » par contre.

Ici tout n’est qu’intuition. Ressenti du Paradis. Solitude. Sentiment d’éternité qu’égrène les marées. Le bleu de la mer et du ciel confondus. La pêche à pied. Les longues baignades. C’est surtout la recette de la cuisine leclézienne, une explication de texte du roman « Le chercheur d’or » paru un an plus tôt. Ou plutôt un travail préparatoire.

En se plongeant en effet dans l’ambiance de l’île J.M.G Le Clézio cherche son personnage, le rôle principal du grand-père fantasmé. « Pieds nus sur la terre sacrée » ! Mettre le pied sur Rodrigues c’est le dénouement d’un drame familial. Le retour d’exil aux origines de la nostalgie. La blessure jamais refermée de la chute. La quête d’identité. L’évidence de « la vie sauvage ». Or le Robinson auquel J.M.G Le Clézio fait référence n’est pas celui de Daniel Defoe mais celui de Michel Tournier ! Mais ce qui n’est encore que suggéré dans ce journal crève les pages du roman qui suit sous une forme quasi hagiographique.

« Le chercheur d’or » s’inscrit clairement sous le signe des robinsonnades. Tout concourt ici à nous plonger dans l’univers buissonnier d’Alexis, ses derniers jours au paradis de l’Enfoncement du Boucan, dans la propriété isolée d’Euréka, une propriété que J.M.G Le Clézio décrit déjà comme une épave au milieu du jardin, à l’ombre de l’arbre chalta, refuge, vigie du haut duquel on voit la mer et les alentours.

La vie est rythmée par les jeux d’enfants, l’appel de la mer, le lagon, la barrière de corail, la pêche au harpon, les escapades d’Alexis sous la houlette de Denis - qui fait figure de Vendredi – au travers des champs de canne à sucre, juchés sur les cairns de pierres de lave où ils ont le sentiment d’être naufragés au milieu des champs que le vent fait friser.

Denis initie Alexis aux mystères de « la vie sauvage » : les longues courses, la pêche, l’herborisation tandis que Mam fait des leçons de grammaire, étudie les textes sacrés, les poètes, ceci sans oublier les longues heures à fouiner dans le grenier, à lire de vieux journaux où il est tout autant question de l’épopée et de l’exotisme colonial, que des feuilletons populaire de Ridder Haggart et des « Robinsons marseillais », des découvertes et des prouesses de l’industrie que des publicités pour les objets de luxe. Bref, tout un univers mental qui prédestine Alexis à l’aventure. Pas n’importe laquelle : la robinsonnade. On peut y voir également l’influence des romans de Mark Twain et des escapades de Tom Sawyer et Huckleberry Finn dans le Mississipi et de Stevenson et « L’île au trésor ».

Mais le paradis se fissure sous le poids des dettes accumulées par son père. Le cyclone de 1892 qui balaie Maurice - un vrai Déluge - précipite la chute, la déchéance. La villa familiale fait littéralement naufrage. La charpente craque. Le vent fait claquer les volets. L’eau envahit le grenier et dévale en cascade les escaliers. Un arbre déraciné fracasse une façade. La famille survit dans quelques pièces réaménagées. C’est irréparable.

La famille est définitivement ruinée. Son père avait tenté un dernier coup de poker en hypothéquant la maison pour tourner le dos à l’économie sucrière et construire une centrale électrique. Projet avant-gardiste ou rêverie irréaliste ? Tout est emporté en tout cas dans une coulée de boue. Le créancier qui n’est autre que son propre frère Ludovic les expulse et rase la maison.

La famille est sur la paille, réduite à une vie misérable, indigne, en marge de la caste des colons blancs au milieu d’une population mosaïque. Ils deviennent à leur tour des « intouchables ». Et comme si cela ne suffisait pas son père inocule à Alexis le poison du regret du paradis perdu et l’intoxique avec l’idée de se refaire dans une chasse au trésor improbable. C’est cette obsession que raconte « Le chercheur d’or ».

Alexis en grandissant est obsédé par la marotte de son père décédé brutalement. Il abandonne l’emploi de bureau qu’on lui a concédé et s’embarque à bord du Zeta (l’Argo de la toison d’or). Dans une simple cantine des cartes et des outils de prospecteur. La traversée est un pur bonheur et lorsqu’il débarque enfin à Rodrigues il a le sentiment d’aborder une île déserte. En se dirigeant vers l’Anse aux Anglais il scrute le paysage. S’y projette.

Il ne suffit pas de clamer « Sésame ouvre-toi » pour découvrir le trésor du Privateer. Il faut décrypter les énigmes des cartes, chercher les signes de piste sculptés dans la roche, déblayer des tombereaux de pierre et de terre. Le temps passe sans qu’il s’en aperçoive. Il vit sous sa tente, à l’ombre d’un tamarinier, une vie rude, solitaire mais ne cède rien au découragement.

Il prend même du plaisir à vivre au milieu d’un tel paysage. Parfois il se sent épié par des sauvageons. A commencer par Ouma, une jeune manaf, métisse indienne, qu’il regarde de loin pêcher au harpon et se baigner. Elle prend petit à petit l’habitude de passer le voir. Le soigne des insolations, de la fièvre. Elle est belle. Gracieuse. Elle l’initie aux joies simple de l’île, à une innocence originelle en accord avec la nature : pêcher, se baigner, se sécher sur le sable au soleil.

« Nous ne parlons plus. Ici, devant cette rivière, sous la lumière dure du soleil, écoutant le bruit triste du vent dans les roseaux et la rumeur de la mer, nous sommes seuls sur terre, les derniers habitants peut-être, venus de nulle part, réunis par le hasard d’un naufrage. »

La vanité de l’or est inconcevable pour Ouma. D’autant plus qu’il s’entête après avoir découvert une cache … vide. C’est la désillusion. Cela fait déjà 4 ans qu’il prospecte l’Anse et la guerre de 14 gronde en Europe. Alexis abandonne Ouma et s’engage dans l’armée britannique.

Lorsqu’il revient à Maurice, tout auréolé du prestige de la victoire, il donne le change auprès des siens, juste le temps d’épuiser sa solde. La santé de sa mère se dégrade. Sa mort libère sa sœur Laure. Désargentée. Marginale. Elle décide d’entrer au couvent. Tandis qu’Alexis, toujours obnubilé par Rodrigues et Ouma repart sur l’île. Rien n’a changé ou presque. Des hommes sont morts, les manafs déportés, l’Anse aux Anglais défigurée par les ouragans est un champ de ruine.

Retour à Maurice où il traîne une existence sans but. Il reprend son travail dans les bureaux de son oncle, puis descend les échelons, contremaître sur les plantations, tâcheron, licencié. Au milieu des coolies il remarque enfin Ouma. Il s’enfonce avec elle dans la jungle, à Manava, pour renouveler l’extase de l’île. Mais le bonheur est de courte durée. Ouma disparaît dans une rafle et elle est déportée. Alexis le regard perdu vers l’horizon. Las. Décide que son destin n’est pas de courir après elle mais de poursuivre sa vie. Tout recommencer.

Ce que le résumé ne dit pas c’est la permanence qui s’installe au fil du récit. La description du paysage, des impressions, des sensations qui tournent en boucle, chassent petit à petit nos pensées et installent avec une langue ensorcelante, sorte de berceuse, un nouvel univers mental, un sentiment d’éternité. On bascule plus que jamais dans le mythe. La nostalgie du paradis perdu. On vit - enfin ! - ce que les théories de Mircéa Eliade tentent d’expliquer. On bascule dans une autre dimension. C’est du moins l’effet que ça m’a fait et qui s’amplifie encore et encore avec les longueurs de « La quarantaine ».

« La quarantaine » est également une auto-fiction. Un roman polyphonique, dit-on, en forme de poupée russe auquel le chapitre central donne son titre. « La quarantaine » s’ouvre et se ferme sur le récit d’un narrateur à destination de Maurice afin d’élucider la disparition mystérieuse de l’oncle Léon dont il porte le prénom.

Cette parenthèse s’ouvre et se ferme avec la présence de la figure tutélaire d’un Rimbaud dont on suit les pas à Paris et en fin à Marseille. Un Rimbaud qui est un peu le fil rouge du récit puisqu’il apparaît dans un café parisien, une infirmerie à Aden, et dont la poésie irrigue le texte de J.M.G Le Clézio, avec d’autres poètes tels que Baudelaire et Longfellow qui distillent leurs vers.

Deux autres récits s’incrustent tour à tour dans le journal de « La quarantaine » : l’herbier du botaniste John Metcalfe et la Yamuna qui retrace le trajet qui mena Giribala et Ananta d’Inde à Maurice. Une invitation à la mythologie hindoue. N’ayez crainte, à lire, c’est moins compliqué qu’il n’y paraît !

1891, le navire qui conduit Jacques et Suzanne, sa jeune épouse, et son cadet Léon, à Maurice est mis en quarantaine après un départ d’épidémie de variole. C’est pour eux une sorte un retour au paradis perdu après l’exil de leurs parents. Exil orchestré par leur grand-père despotique qui a renié le mariage de son fils avec une jeune eurasienne. Les passagers sont débarqués sur l’île Plate à quelques encablures de Maurice dans l’attente...

Débute alors un huis clos mortifère où les personnalités se révèlent, des dissensions apparaissent entre Jacques et Léon et où les morts partent en fumée. Les secours ne viendront qu’à la saison des récoltes de canne à sucre et au besoin de main d’oeuvre. Une fois que la maladie aura consumé les malades abandonnés à leur triste sort.

L’île est le reflet des discriminations coloniales, sociales et raciales de Maurice. Les coolies sont entassés à Palissades. Et plus encore à l’écart, les parias, les intouchables, qui s’occupent de l’incinération des cadavres. Les rares européens quant à eux sont placés à l’isolement à la Quarantaine à l’extérieur du port. Ils ne sont pour autant mieux lotis et ont le sentiment d’être eux-aussi des naufragés, des bannis. Tandis que Jacques, médecin, fait de son mieux pour prodiguer des soins, Véran le Véreux – cavalier d’industrie - s’autoproclame gouverneur, distille la haine et le séparatisme sur l’île. En face de lui Shaik Hussein régente la vie des coolies.

Au fur et à mesure, Léon largue les amarres, erre sur l’île, outrepasse la ligne de démarcation entre les 2 communautés. Il mène une vie buissonnière. Le jour, il herborise en compagnie de John Metcalfe. La nuit il se faufile au milieu des buissons, des rochers, des cabanons pour rejoindre le village des coolies et les observer.

C’est au cours de ces va-et-vient qu’il tombe sous le charme de Suryavati, une jeune et belle indienne qui l’initie à cette vie de Robinson. Il est littéralement sous le charme de l’île : la nature, la mer, le ciel, le soleil et ces gens qui survivent sous le règne d’un contremaître qui rythme la vie à coups de sifflet. Il s’éloigne des manigances des siens. La maladie, l’agonie, la mort le répugne et la vie au grand air est un exutoire idéal.

« La quarantaine » devient un roman de l’attente. D’une vie les yeux rivés sur le large dans l’espoir de secours. De l’oubli dans la langueur du quotidien. Des jours qui s’égrènent comme une éternité. De la rencontre avec l’autre. De la lente émergence de sa propre identité. Suryavati le renvoie, en effet, à ses propres origines métisses. Il perçoit à peine sa lente métamorphose : teint mat, cheveux longs en bataille, haillons. Il découvre les us et coutumes de ce peuple. Mange, dort avec eux. Participe à l’entretien des buchers d’incinération des morts. Sent la cendre qui lui colle à la peau. Le texte est alors plus hypnotique que jamais.

« Il me semble que j’ai vécu toute ma vie sur Plate, c’est ma terre natale, c’est là que j’ai tout appris, il n’y avait rien auparavant, il n’y aura rien après. » Plus loin : « Le vent efface en moi tout le passé et le futur, me laisse sans mémoire. »

Lorsque Suzanne elle-même vient à tomber malade, elle est reléguée sur l’îlot Gabriel où Suryavati la soigne avec des plantes. Jacques pose alors des questions à Léon à propos de ses intentions à l’égard de la jeune femme car tout le monde espère un départ proche.

La réponse de Léon est violente. Jacques est-il à ce point dupe qu’il ne comprenne pas qu’ils n’ont aucun avenir à Maurice ? Qu’ils sont radiés des cadres de la famille ! Qu’ils n’obtiendront jamais gain de cause auprès du grand-père qui les a exilés.

Lorsque les bateaux arrivent enfin pour rapatrier les survivants sur Maurice. Léon et Suryavati laissent passer la première navette et disparaissent à tout jamais avec la suivante. No news. Un destin à la Rimbaud, révolté, prêt à tout plaquer pour partir au bout du monde.

Et le narrateur aura beau hanter les lieux, fouiller la mémoire de sa tante Anna, rien n’y fera. La seule vérité qui refait surface c’est que ses racines sont ici. Dans la magie de ces îles vers lesquelles tout concourt à le ramener. C’est là qu’est la mémoire collective de sa famille. La sienne…

Pouh ! Je me suis lancé dans un rallye lecture sur la foi de Florence Locajono qui a su piquer ma curiosité avec ces « robinsonnades ontologiques ». Cette aventure de lecture a tenu ses promesses. J’ai encore quelques volumes à lire : « Long cours » de Georges Simenon, « La tête coupable » de Romain Gary et « L’île à midi » une nouvelle de Julio Cortázar parue dans « Tous les feux le feu ». Peut-être me réservent-ils de belles surprises. Mais j’ai peur qu’il soit difficile de détrôner J.M.G Le Clézio !

Sans ambiguïté il y a une familiarité entre tous les romans que j’ai lu. Mais je préfère encore prendre le cycle mauricien de J.M.G Le Clézio à part entière. C’est une œuvre luxuriante qui possède une cohérence interne dont les mots clés sont : « nostalgie des origines », « quête d’identité », reconstruction du « récit familial », « vie sauvage » comme image du bonheur, etc.

Bien sûr ce sont des récits d’initiation. Un retour d’exil qui se traduit sous la forme d’une hagiographie fantasmée du/des « prédécesseurs ». Cette conclusion du « secret de famille » qui hantait l’auteur, est l’aboutissement non d’une autoanalyse libératrice car J.M.G Le Clézio n’utilise jamais les ressorts du récit psychologique (associé au nouveau roman) mais fait la synthèse de mythes puissants qui créent une vérité alternative.

 

 

J’ai terminé ce voyage par un détour chez Hergé. Cette question de « robinsonnade ontologique » et son principe de « prédécesseur » me tarabustait et m’a renvoyé à la lecture de 2 albums cultes : « Le secret de la Licorne » et « Le trésor de Rackham le Rouge ».

On avait découvert le Capitaine Haddock dans « Le crabe aux pinces d’or ». Un ivrogne invétéré, manipulé par son lieutenant Allan qui transporte à son insu de l’opium dans les cales du Karaboudjan et qui perturbe – pour le gag - l’enquête de Tintin.

Un album plus tard, on le retrouve tout exalté, chapeau à plume sur le crâne et sabre d’abordage à la main, ferraillant dans le vide dans une parodie du duel qui opposa son ancêtre le Chevalier de Hadoque au pirate Rackham le Rouge. Les 2 hommes se ressemblent comme 2 gouttes d’eau. A la différence que l’un est un héros et l’autre un poivrot.

Tout a commencé sur le Vieux Marché où Tintin a acheté pour la lui offrir une réplique miniature de la Licorne qui s’avère être le vaisseau du Chevalier. L’un des mâts livre un mystérieux parchemin. Cette trouvaille réveille les convoitises de voyous et l’enquête mène Tintin jusqu’aux frères Loiseau et 2 autres répliques. La superposition des 3 messages révèle l’énigme : les coordonnées de l’île sur laquelle le Chevalier de Hadoque fit naufrage avec le trésor du terrible pirate.

Tintin et Haddock organisent une expédition pour une chasse au trésor pas très discrète. Avant le départ le médecin du capitaine lui prescrit une stricte sobriété. Pari tenu avec l’aide involontaire de cet hurluberlu de professeur Tournesol qui a remplacé en douce les caisses de whisky par les pièces détachées de son sous-marin de poche.

Arrivés sur l’île Tintin découvre les vestiges d’une barque ensevelie sous le sable, une croix entaillée en guise de calendrier, un totem sculpté à l’effigie du Chevalier, jusqu’aux perroquets qui conservent dans leur babil les gros mots de l’ancêtre, mais aucune trace du trésor ! En scaphandre puis à l’aide du submersible de Tournesol les chercheurs d’or fouillent l’épave de la Licorne coulée au large. Mais là non plus, rien !

Au retour, l’argent de la vente du sous-marin de Tournesol sert à acquérir Moulinsart qui n’est autre que la demeure des ancêtres du capitaine Haddock. C’est dans les réserves du château que Tintin découvre enfin la cache du fameux trésor dans un globe terrestre au pied d’une statue de Saint Jean l’Evangéliste. L’énigme est définitivement résolue et le capitaine Haddock ouvre un espace muséographique en mémoire du Chevalier et de leurs aventures.

Tout au long des albums Haddock est resté à la manœuvre cette fois. Même s’il se siffle quelques bonnes bouteilles de rhum arrachées à l’épave, il est passé du rôle d’ivrogne à celui de châtelain, de faire-valoir à celui d’auxiliaire, en retrouvant son honneur et en buvant…avec modération.

Alors ? S’agit-il d’une « robinsonnade ontologique » ? Peut-être si on lit entre les cases et entre les gags !

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