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En explorant Ebay à la recherche d’exemplaires de « Robinson » pour compléter ma collection, j’étais tombé à 2/3 reprises sur des couvertures de magasines télé titrant sur la robinsonnade de Georges de Caunes en 1962 en Polynésie, sur l’île d’Eiao. Et en effet j’avais déniché sur le net quelques brèves à ce sujet. Mais j’avais résisté à la fièvre acheteuse, à moins que je sois trop pingre !

 

 

Et c’est une chance car en faisant mon p’tit tour des boîtes à livres des Louvrais et des Cordeliers j’ai mis la main sur « Télévisas ». Je l’ai extirpé de sa châsse de plexiglas. Me suis éventé d’aise en feuilletant la bio. Maté les photos. Le témoignage. Yes ! Bon, la jaquette est abîmée mais ça fera l’affaire. Je le glisserai dans une pochette de cellophane pour le conserver.


Georges de Caunes n’est pas un formidable écrivain. Le style est simple. Direct. Sans la moindre fioriture. C’est à l’image de la franchise qu’il affichait semble-t-il à l’écran et lui valu d’être débarqué de quelques programmes.

 

« Télévisas » est une autobiographie. On découvre un personnage droit dans ses bottes, audacieux, opportuniste, qui rebondit d’aventure en aventure : l’occupation, le journalisme, l’exploration du pôle nord avec Paul Emile Victor, l’Amazonie, Tahiti, bien sûr Eiao, etc … et aussi bizarre que cela paraisse, un homme public en mal de solitude.

 

C’est pourquoi il propose avec enthousiasme à la R.T.F une émission originale en forme de robinsonnade : diffuser une chronique quotidienne en directe d’une île déserte. Une simple émission car son équipement ne permet pas de recevoir. Il sera donc littéralement coupé du monde. Sans échanges ni informations. L’épreuve débutera en septembre 1962. Elle est sensée durer un an mais Georges de Caunes jettera l’éponge au bout de quatre mois pour des raisons de santé. Que s’est-il passé ?

 

Au moment de choisir l’île sur laquelle Georges de Caunes fondera son ermitage se pose un cas de conscience : beaucoup d’îles sont occupées même saisonnièrement pour l’exploitation des cocoteraies et de nombreux propriétaires ne souhaitent pas louer leurs îles. Les meilleurs spots lui passent ainsi sous le nez. Or il ne veut ni ajourner l’émission ni sacrifier ses exigences de solitude. Il accepte alors de s’installer sur Eiao, une île peu avenante à l’extrême nord des îles Marquises mais une île déserte et qui appartient au « Domaine ». Eiao n’est pas l’île idéale. Tant pis !

Le « Méhério », un navire des Travaux Publics le dépose avec armes et bagages : animaux de compagnie – chien, chat, rossignol – matériaux de construction pour sa cabane, matériel radio, provisions, tonne d’eau, terreau pour son jardinet, outils, etc…

Eiao n’a pas toujours été déserte. Michel Charleux y mène encore régulièrement des campagnes de fouilles archéologiques, accompagné de naturalistes et de botanistes. Il exhume les vestiges de sites de l’industrie lithique des autochtones. Jusqu’à l’arrivée des européens l’île était occupée par des artisans et leurs familles qui fabriquaient des herminettes en basalte comme en témoigne les traces d’habitats et les dépotoirs d’éclats de pierre. La question de l’absence d’eau de source potable taraude les chercheurs dubitatifs. Mais l’île n’avait pas à l’époque l’aspect désertique qu’elle a désormais.

 

 

Le paysage s’est métamorphosé avec l’introduction de bétail (bœufs, moutons, cochons) en 1876 par un colon nommé John Hart. Le pâturage du bétail, son abandon, son retour à l’état sauvage, a signé l’arrêt de mort de l’écosystème. La végétation endémique dévorée a laissé place un paysage martien. Quelques rares arbustes chétifs y subsistent enracinés sur un sol d’argile rouge stérile.

Aujourd’hui quelques insulaires voisins de Nuka Hiva et quelques « voileux » y viennent faire des parties de chasse. J’en ai retrouvé la trace en consultant « L’île aux moutons » - Voyage du catamaran Lifou.

 

 

Les fonds marins sont également exceptionnellement abondants. « Les scientifiques ont pu observer de nombreux individus de grande taille, herbivores (nasons–Ume) ou carnivores (mérous, carangues, semi-pélagiques) en abondances surprenantes. » comme le montre la pêche miraculeuse de Michael « The Viking » Adolfsen.

 

 

Dans un article, Jean Louis Candelot qui a séjourné en 1973 sur l’île à l’époque où l’état prospectait des sites pour ses essais nucléaires souterrains et qui s’est entiché d’archéologie en sillonnant l’île, confirme bien si l’on en doutait que la baie de Vaituha n’est pas l’endroit de l’île le mieux approprié pour installer un campement :

« Les seuls vestiges que nous avons rencontrés sont ceux du chemin d’accès et la baraque de Georges de Caunes, encore en bon état et pouvant convenir comme abri. Les vagues déferlent en rouleaux sur une plage de galets : le rivage est hostile, lugubre et rébarbatif. La note de gaieté est cependant apportée par le murmure du filet d’eau de la seule source régulière de dilection des nono (simulidae). L’accès à cette baie depuis l’intérieur des terres est possible mais non aisé. L’ancien chemin fort ruiné disparaît, se perd, s’éboule sous les pas. » C’est sans parler des cycles de sécheresse-période pluvieuse auxquels il est difficile de s’adapter et survivre. C’est des nono, les virulents moustiques que Georges de Caunes aura le plus à se plaindre. Un fléau ! Sans parler de la chaleur et l’absence d’ombre.

 

Très rapidement Georges de Caunes comprend que l’aventure qu’il s’inflige est infernale :

« Mon reportage et son cadre n’ont aucun rapport avec la romance de Robinson. Eiao est déserte parce qu’inhumaine. Désireux de sortir du troupeau des humains, je me retrouvais donc mouton parmi les moutons, à la recherche de ma pâture, susceptible de retomber dans le lot commun de ceux qui attendent de la mort leur délivrance et de l’au-delà leur libération. »

 

L’accident de son chien Eder et les soins vétérinaires qu’il nécessite le fragilise émotionnellement mais il s’entête et va au-delà de ses forces. Il perd 18 kg. Un médecin venu à son chevet le rapatrie d’urgence au bout de 122 jours de solitude. La survie ne s’improvise pas. Est-ce qu’un Mike Horn s’en serait mieux sorti ? La survie n'en est encore qu’à ses débuts…

 

En tout cas, en voulant vivre « en vrai » l’aventure de Robinson Crusoé, Georges de Caunes est devenu un peu précurseur des programmes de jeux insulaires de la télé-réalité.

 

Il s’inscrit également bien dans son époque où de nombreuses initiatives individuelles portent les désenchantés de la société de consommation vers les contrées mythique de la Polynésie.

 

 

Petite bibliographie :

 

Bernard Villaret – Piti-U-Tai, mon île déserte du Pacifique - 1952

Robert Pomel - A la découverte de mon île – 1954

Bernard Gorsky - L'aquarium de Dieu - 1961

Claude Chabbert - Deux ans sur un atoll – 1957 - 1961

An Island To Oneself - Tom Neale, Collins - 1966

Paul Zumbiehl - Un atoll et un rêve – 1986

 

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