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Et de 4 ! Confinement oblige, je ressors des tiroirs un à un des romans en souffrance : « Les bienheureux de la désolation », « L’île de béton » et maintenant le « Robinson » d’Alfred Capus. Qu’est-ce que je peux bien en dire ?

 

D’abord que je n’ai rien retrouvé du sel des citations mises en jeu dans les « Grosses têtes » de Philippe Bouvard. Par contre j’ai retrouvé l’inspiration du « Bel Ami » de Maupassant. Un effet miroir saisissant qui m’avait fait réfléchir en première lecture. Etoffer ma culture classique avec d’autres romans d’apprentissages. Découvrir d’autres « arrivistes » montés à Paris pour y faire fortune : Rastignac qui traverse la Comédie humaine de Balzac, Julien Sorel dans « Le rouge et le noir » de Stendhal et « Nana » de Zola, notamment. (En fait non, Julien Sorel ne monte pas à Paris mais bon…)

 

Tous ces personnages rêvent d’en croquer. Mordus par la rage d’atteindre le sommet de la pyramide sociale. De vivre dans le luxe et l’opulence. Hier encore c’était à Versailles, à la cours, que se faisaient et défaisaient les réputations, les fortunes. Mais depuis la chute de la monarchie, le jeu est plus ouvert. Bien sûr une nouvelle aristocratie s’est restaurée à Paris. La bourgeoisie « triomphe ». Georges Duroy (1885) et de Sébastien Réal (1901), chacun avec leurs armes, vont jouer des coudes pour se frayer un chemin dans ce Paris de la Belle Epoque et de l’Exposition Universelle. Cet Olympe relifté par Haussmann. Ville lumière. Eldorado. Capitale idéale qui rayonne, qui inspire, qui attire comme des mouches toute une fourmilière de provinciaux, d’artistes, d’étrangers. La vie y est pleine de divertissements et d’insouciance : grands magasins, mode, luxe, spectacles, cabarets, théâtres, cinémas, opéra, restaurants, cafés et de stimulations intellectuelles : arts, salons, galeries, sciences, techniques. C’est aussi la ville de la frivolité, de l’hypocrisie et de la corruption. Une société de plaisirs qui excite les convoitises. Couve en son sein un monde interlope d’aigrefins et d’escrocs. Et cache sous le tapis la misère des classes populaires.

 

Or il faut de l’argent pour en croquer. Beaucoup ! Et ce n’est pas le travail qui peut en procurer suffisamment. Le travail enrichit la bourgeoisie. Le travail remplit les usines de l’exode rural. Le travail c’est la survie, les revendications syndicales et la politique progressiste et sociale d’une gauche qui s’est perdue depuis, visiblement. Paris coûte cher, donc. On y est vite dépassé, déclassé, grotesque face au chic et aux fastes. Chacun doit revoir son échelle de valeur. Partir à sa conquête – et c’est manifestement le défi que Rastignac lance à la capitale du haut du Père-Lachaise : « À nous deux maintenant ! » - ou faire sa valise comme Rubempré dans « Les illusions perdues ».

 

Dans cet univers il ne faut pas manquer d’appétit pour se tailler sa part du gâteau. Dans les romans de Balzac, Maupassant, Stendhal, Zola, l’ascension est âpre. Il ne faut pas avoir de scrupule, de morale. Il faut être opportuniste, intriguer. Il faut comprendre et s’adapter vite à son environnement. Comprendre que ce sont les femmes qui actionnent les manettes de l’ascenseur social. On court les dots. On courtise. On charme. On couche. Georges Duroy, beau gosse, moustache frémissante, joue évidemment de son sex-appeal. Mais ce n’est pas simplement un gigolo qui profite de ses « protectrices » pour s’immiscer dans l’élite. C’est aussi un cauteleux.

 

Parti de Canteleu – près de Rouen – Duroy a servi en Algérie. Démobilisé on le croise au début du roman sur les boulevards, qui traînasse, jusqu’à ce que la Providence le mette face à face avec Forestier une connaissance qui lui explique les règles du jeu pour réussir à Paris et l’y initie. Il enchaîne alors un parcours fulgurant, tour à tour pigiste, journaliste, directeur de rédaction, banquier, spéculateur, député, ministre ! Duroy devient Du Roy. Une césure significative. Et qu’on ne me dise pas qu’il n’a pas un vrai talent, une intelligence aiguisée. Il est comme un poisson dans l’eau pour manœuvrer chez les mondains. Un loup ! Un digne héritier d’Eugène de Rastignac parvenu avant lui (vers 1840) à un destin exceptionnel au fil des romans.  

 

La morale bourgeoise voudrait mettre le lecteur en porte à faux. Leur réussite nous grise certes. Mais ces héros manqueraient de noblesse, de droiture, d’intelligence, de talent, de sensibilité, d’humanité même. Réduits au rôle de vils séducteurs ils abuseraient sans scrupule de leur charme sur les femmes et les instrumentaliseraient. Ah, les affreux jojo ! # BalanceTonPorc ;-)

 

Je ne serais pas si péremptoire. D’un point de vue littéraire « Nana » - l’alter ego féminin des Duroy et consorts – décrit aussi une ascension, celle d’une croqueuse d’hommes qui les rince, les humilie, les jette, pour se venger et devenir cette courtisane qui triomphe avec sa pouliche sur le gazon de l’hippodrome de Longchamp sous les yeux de Napoléon III. Quant à Georges Feydeau ne met-il pas en scène de vertueuses bourgeoises, des cocottes et des maris cocus tout au long d’un répertoire qui ne manque pas d’humour et a fait les grandes heures du théâtre de boulevard ? Autre époque, autres mœurs mais sommes-nous si parfaits ?

 

Au bout du compte, ces prédateurs cyniques ne sont que des coucous. Des jaloux qui soufflent des flatteries, à bon entendeur, en attendant leur tour. Se créent des occasions. Saisissent leur chance. Prennent la place des maris dans le lit conjugal. Puis leurs maroquins. D’une chambre à l’autre, insatiables !

 

Et puis cette ascension semble plus facile qu’il n’y parait. Sous la 3ème République la vie parlementaire est trouble, agitée, instable et favorise l’arrivisme. Le libéralisme et la bourse font de l’économie une table de casino. Souvenons nous seulement des scandales du Panama et des Emprunts russes qui valent bien le krach de 2008 et les célèbres Lehman Brothers.

 

Qui ne rêve pas de réussite quand l’ascenseur social est en panne ? Quand aujourd’hui encore une minorité possède toujours l’essentiel des richesses de l’humanité ? Alors, faute de changer la société on l’asticote, on la noyaute. Les révolutions ont ébranlé les régimes mais elles n’ont fait que redistribuer les cartes entre les mains de quelques uns. Les autres survivent. Mal ! Comme le dépeint le naturalisme de Zola dans sa saga des Rougon-Macquart !

Or si un temps on pense que Sébastien Réal le héros de Capus marche dans les pas de ses célèbres prédécesseurs lorsqu’il monte sans un sou à Paris, on en est vite pour nos frais. C’est exactement l’inverse…

 

« Et à mesure que je m’approchais de Paris, une impression dominait toutes les autres, c’est que j’allais aborder après un naufrage dans un endroit inconnu de moi, un endroit où je serais seul, et où il me faudrait pour vivre la même ingéniosité, la même force de résistance, le même fatalisme énergique qu’à Robinson sur son île. »

 

Bien sûr il aspire à réussir. Bien sûr il tire des plans sur la comète. Goûte aux plaisirs de l’amour avec une sincérité de jeune homme dans les bras de la très vertueuse Hélène Ardouin, une femme bafouée par son époux. Bien sûr il la trompe en papillonnant avec Lucie de Grège, une actrice capricieuse. Mais c’est une passade. Ne fait-il pas son éducation sentimentale plus qu’il ne manipule ? Cela le tourmente d’ailleurs.

 

Sébastien Réal comprend alors deux choses. Un, qu’il n’est ni assez sociable pour se frayer un chemin en politique car il répugne aux manigances du député Moulaine dont il devient un temps l’assistant parlementaire, ni assez roublard pour se remplir les poches en compagnie de Cabanèz, un affairiste sans vergogne, mais au demeurant sympathique.

 

Deux, qu’Hélène Ardouin par excès de tendresse, a malgré elle une mauvaise influence sur lui en le détournant systématiquement de ses objectifs. Sébastien a décidé de travailler dans l’industrie. Une voie dans l’ingénierie mal aisée lorsqu’on n’est pas diplômé de Polytechnique malgré de solides bases en mécanique. Pourtant il est prêt à travailler comme ouvrier en atelier de production de machines agricoles avant de monter dans la maîtrise au fil du temps et des inventions qu’il a en tête. Mais Hélène y répugne et fait d’autres choix à sa place :

 

« Ah ! Elle était loin de lui cette fiction qui lui plaisait tant à son arrivée à Paris, d’un Robinson échoué, mais maître de son sort, confiant en soi, industrieux et patient, sachant combiner l’énergie et le fatalisme ! Ce Robinson-là avait bien vite trouvé son « Vendredi », non pas le compagnon de travail de l’immortel récit, non pas l’esclave, mais la maîtresse, celle qui murmure à votre oreille chaque fois que le courage hésite, que la main tremble : « Ne reste pas dans ce désert, où la vie est incertaine, où tu es à la merci de l’orage et des bêtes. Tu crois que tu peux y être heureux, parce que tu ne vois personne autour de toi et que tu n’as pas l’occasion de comparer. Mais, tu n’es pas heureux, ce n’est pas vrai, tu es la victime d’une illusion qui te cache le monde. Va, prends ma main et reviens avec moi à la civilisation, c’est là ta place. Le culte de l’aventure et l’acceptation de la pauvreté n’ont plus aucun sens aujourd’hui. Ce que tu dois être, c’est un jeune homme comme les autres, élégant, habile et aimé des femmes. Moi, je t’aime passionnément, mais je t’aimerai d’avantage encore et sans remords quand tu seras devenu le jeune homme que j’ai rêvé, et que tu auras perdu ton goût de sauvage. »

 

Après ses échecs, Sébastien Réal revient sur son idée primitive. Reprend contact avec l’industriel Edmond Balanier pour obtenir un emploi. Celui-ci lui accorde un avenir dans son entreprise à condition de rentabiliser le domaine de Bilos dans les Landes dont il vient d’hériter. Pari tenu, pendant 3 ans, Sébastien, devenu régisseur, met tout en œuvre pour redresser l’exploitation, la mécaniser, manager les ouvriers agricoles, défricher, irriguer, planter des pins, relancer la scierie, améliorer les machines, etc.

 

« Cette fiction de Robinson qui ne représentait autrefois à son esprit que l’isolement social d’un déclassé, mais qui lui avait servi à protéger son orgueil et à empêcher ainsi l’irrémédiable déchéance, cette fiction devenait maintenant la réalité même de sa vie. Il allait, en effet, pendant combien d’année ? vivre dans un désert, hors presque de la civilisation ; mais, entre les limites de ce désert, il vivait librement, d’un travail naturel et rude, dans l’insouciance du jour prochain, avec le dédain de l’argent. »

 

Au terme de cette mise à l’épreuve Edmond Balanier lui propose enfin de le rejoindre à Paris, au siège, pour présider avec lui aux destinées de l’entreprise. C’est la consécration. Une consécration ternie toutefois par la disparition d’Hélène, emportée par la maladie et les malversations de son notaire de mari qu’elle avait accepté de rejoindre à contre coeur.

 

Voilà, Duroy, Réal, deux ambitieux, deux personnalités, deux stratégies : l’une portée par le charme, la sociabilité, les combines, les spéculations et l’autre, portée par l’honnêteté, le travail, l’inventivité, l’industrie. Bizarre, on croit à l’un plus qu’à l’autre ! Normal, Maupassant est un « grand » écrivain, talentueux, et il porte au sommet le personnage romanesque de Bel Ami – J’adore - tandis que le style de Capus – de l’Académie Française, ce n’est pas rien tout de même ! - est plan-plan, fadasse et peine à renouveler l’image de Robinson. Bref le roman n’est pas très bien torché même si l’intuition de la « réussite » à la Réal est intéressante.

"Alfred Capus" -Edouard Quet - 1904

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