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« Je suis Robinson, les zombies sont mon océan »

 

A quoi en suis-je réduit ? Faute de Robinson dans le titre, c’est en 4ème de couverture que je le chasse et à force de croiser les mots clés, d’attendre que la toile frémisse et d’ouvrir des pages en cascade, j’en prends enfin un dans ma nasse. J’me sens apaisé. Je vais savourer ma prise : « La nuit a dévoré le monde ». Je n’en fais qu’une bouchée mais l’appétit vient en mangeant. Le manque va me taquiner tôt ou tard. La collectionnite est exigeante. C’est une véritable addiction.

« Depuis longtemps l'homme a atteint le stade ultime de la décadence et de la cruauté. Il n'y avait sans doute qu'un pas pour qu'il se transforme en monstre...

Une épidémie a changé la plupart des êtres humains en créatures démoniaques, avides de chair et de sang. On a vite compris leur nature: ce sont des zombies. Rien n'a pu les arrêter, ni la police, ni l'armée. Ils ont tout ravagé.

Antoine Verney est un survivant par hasard. Il n'a rien d'un héros. Il se retrouve à la fois prisonnier et protégé dans un immeuble parisien, alors que dans les rues les morts-vivants pourchassent les derniers humains.

Du haut de sa tour, tel Robinson sur son île, Antoine apprend à survivre et se confronte à la terreur. Armé d'un fusil, il découvre avec surprise qu'il peut tuer et qu'il a même un certain talent pour ça.

C'est un double combat qu'il va devoir mener, pour s'inventer une nouvelle vie et ne pas sombrer dans la folie. »

Le roman date de 2012. Martin Page alias Pit Agarmen, un anagramme, signe ce roman de genre. Il est porté à l’écran en 2018 par Dominique Rocher.

L’univers zombie nous est familier. Difficile d’échapper à leur voracité. On joue à se faire peur depuis « La nuit des morts vivants ». On cauchemarde de dévoration et on survit sur la défensive comme de vulgaires proies depuis « Walking dead ». On en rigole aussi – c’est mon cas - depuis « Shaun of the dead » et « Zombie land ». Mais là, lit-on de-ci de-là, fi d’hémoglobine, le roman est…sub-ver-sif. Vlan ! Des lecteurs décernent leur label !

Si je lui reconnais en effet une certaine fraîcheur. Une vivacité. Quelques réflexions bien senties. Je lui reconnais surtout l’imitation de « Je suis une légende » de Richard Matheson. Il ne soutient malheureusement pas la comparaison. Et si l’auteur semble se jouer des stéréotypes du genre c’est qu’il emprunte tout ou presque à celui des robinsonnades. Il ne cherche d’ailleurs pas à tromper son lecteur et annonce la couleur. Difficile de s’étonner alors qu’il en fasse un roman de la solitude. Un roman psychologique. Un gentil roman qui parie un peu trop sur l’autodérision pour sortir du roman de divertissement.

Tout commence avec l’éternel « Pourquoi moi ? ». Le syndrome du survivant. Le syndrome de Lazare. Antoine Verney – le héros – ou l’anti-héros si l’on veut - impute sa survie à une personnalité un tantinet autistique. Ce qui a toujours fait écran à son insertion sociale lui sauve finalement la vie. Encore que la mutation spontanée de l’humanité continue d’en faire un marginal malgré lui. Il est peut-être le dernier homme au milieu du raz de marée zombie même s’il ne perd pas foi dans la ténacité de l’humanité qui surnage probablement, disséminée par petites touffes de mauvaises herbes, en embuscade dans l’attente d’une renaissance. Antoine revient sur son tempérament à plusieurs reprises tout au long des pages de son journal :

« Je pense aux raisons qui font que je m’en suis sorti. Pourquoi moi ? Sans doute mon asociabilité a été déterminante, je n’avais personne sauver, je ne tenais même pas assez à ma vie pour tenter de m’enfuir. Plus profondément, je crois que j’ai survécu parce que j’étais à part. »

Bizarre que de nombreuses critiques sur le net le réduisent juste à un « loser » ! Trop attachées peut-être à la scène d’ouverture et ce qu’Antoine livre de cette nuit fatidique où tout a basculé. Il raconte sa cuite mémorable et son trou noir. Seul à siroter au milieu des manteaux et des sacs des invités d’une soirée mondaine à laquelle il n’arrivait pas à se mêler :

« Chaque gorgée devait me laver de toutes les saloperies de ces dernières années : la rupture, la pauvreté, l’isolement social, l’absence de reconnaissance. Chaque verre devait me guérir. »

Et au matin, c’est la gueule de bois, des scènes de carnage dans l’appart et dans les rues… Une ellipse pour une éclipse car l’essentiel est ailleurs. Antoine vit dans un sarcophage de solitude. Il la subit plus qu’il ne la désire. D’où lui vient cette incapacité à communiquer ? J’irai voir du côté de Françoise Dolto ce qu’elle en dit. J’ai bien peur qu’une mère ou un père en prenne pour son grade !

Son intuition sur les raisons de sa survie semble fondée. Sara, cette autre survivante qui frappe à sa porte est, elle aussi, marginalisée à sa façon : « Elle m’a résumé ses 30 années de vie en un mot : angoisse. Elle vivait dans un océan anxiogène contrôlé par sa famille, ses amies et son ex. » Sara était dépressive et après une tentative de suicide aux Urgences, elle préfère le cheminement de la thérapie aux anxiolytiques. Mais l’irruption des zombies bouscule ses plans. Les épreuves auxquelles elle est confrontée lui rendent confiance en elle et donnent un nouveau sens à sa vie.

Le roman se présente sous la forme traditionnelle d’un journal de bord. Antoine y consigne de façon épisodique les évènements, ses réflexions, ses états d’âme. C’est devenu une hygiène de vie. Un antidote contre la folie. C’est scribouillard après tout, pour des séries télé et des collections de romans à l’eau de rose. Mais il compense sa disgrâce littéraire en insufflant à ses bouquins une pointe de subversion dont il s’enorgueillit. Tient, tient, ça me rappelle quelque chose !

« La littérature de genre parle à ceux qui n’ont pas fait d’études, et qui ne font pas partie des élites. C’est un moyen de faire passer des choses en contrebande. […] Discrètement, je renversais les valeurs, je distillais un contre-pouvoir. Et j’étais libre, car personne ne se soucie de la littérature populaire. Elle n’est pas surveillée. »

C’est ainsi qu’on suit Antoine au quotidien. Antoine qui baisse les bras et réagit. Se décrasse et fait le ménage pour s’aérer l’esprit. Instaure des rituels. Fouille les appartements de l’immeuble haussmannien et des immeubles voisins comme Robinson Crusoé fouillait l’épave de son navire pour y collecter l’alimentaire, les armes, les outils, les objets de déco, etc... Antoine hanté par les zombies comme Robinsons par ses cannibales. Qui se claquemure dans un salon sécurisé. Qui ne bricole pas et abandonne toute idée d’innover. Fait la vigie du haut du balcon et s’effraie des mouvements de la houle zombie. Antoine qui tire sur la foule comme sur des têtes de pipes à la fête foraine. Qui prend un malin plaisir à mutiler les zombies et les voir se trainer comme des loques avant de les achever. Qui exorcise ainsi les humiliations refoulées en dégommant de soi-disant symboles de ses échecs. Antoine qui cogite sur son passé et le devenir de l’humanité, sur cette mutation de l’espèce, invasive certes mais tellement moins immorale et nuisible que l’homme finalement. Antoine qui finit par accepter son destin. Désirer même la fréquentation des zombies pour avoir le sentiment d’exister au moins malgré le dégoût qu’inspire leurs pantomimes grotesques et leurs mines patibulaires. Tout sauf l’absence, le silence… Nul n’est une île !

C’est toute la dialectique d’ailleurs de « L’empreinte à Crusoé » de Patrick Chamoiseau – que j’ai lu en même temps - qui confronte son Robinson aux remuements des « renaissances » dont l’Autre est le personnage centrale. Un Autre à peine suggéré par « l’empreinte » mais dont les digressions qu’elle induit sont réconfortantes, vivifiantes, vitales !

Chamoiseau nous gratifie de pages virtuoses au travers de la voix d’un Robinson exubérant qui ne manque pas de souffle et nous abreuve sans discontinuer du récit de ses péripéties intellectuelles, de détresses en espoirs, où j’ai fini par me perdre je l’admets dans cette folie fertile qui nous conduit des gesticulations stériles à la sérénité érémitique et quelque peu… hermétique. On y découvre son île fabuleuse de fond et comble, sa plage, sa jungle, sa soue, ses combes, ses grottes, ses sources, ses marigots, ses bestioles, ses plantes, ses fleurs et leurs parfums, ses épices et leurs saveurs, ses bruissements, son vent, ses orages, son séisme, etc… On ne parle pas assez de style et c’est dommage. Après Giraudoux, Chamoiseau. Sacrés pointures ! Le reste paraît bien fade. Bref…

L’apparition de Sara bouleverse le train-train d’Antoine. On découvre alors le pendant de son handicap social et de sa solitude forcenée : la dépendance affective. Les tourtereaux vident les placards en amoureux et Antoine panique à l’idée de sortir faire le plein en magasin. De perdre Sara, plus indépendante, délurée, habituée à se fondre dans la masse, s’il ne trouve pas le courage d’affronter ces bovins carnivores en usant de petits stratagèmes : du parfum pour masquer son odeur d’humain et un bétabloquant pour couvrir l’excitation de l’instant, éviter d’attirer l’attention et d’attiser les appétits.

Cannibales, vampires, zombies, nous voilà descendus bien bas dans la pyramide alimentaire. Les mythes littéraires se croisent pour des scénarii d’inversion. Des fables dont nous ne sommes pas le loup mais l’agneau. Dans quel autre traquenard nous précipite Margaret Atwood et « Le dernier homme » ?

4ème de couverture :

« Un monde, le nôtre, dans un futur pas si lointain... Un monde dévasté à la suite d'une catastrophe écologique sans précédent, où se combinent des conditions climatiques aberrantes, des manipulations génétiques délirantes et un virus foudroyant prompt à détruire l'ensemble de l'humanité. Esseulé au cœur de cet enfer aseptisé et visionnaire, digne de 1984 et d’Orange mécanique, un homme, Snowman, est confronté à d'étranges créatures génétiquement modifiées, les Crakers, une nouvelle race d' « humains » programmés pour n'être sujets ni à la violence, ni au désir sexuel, ni au fanatisme religieux. Tel un Robinson futuriste, il doit lutter pour sa survie et celle de son espèce. Au risque d’y perdre son âme... »

 

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