/image%2F1036306%2F20250421%2Fob_53d146_spitzberg-selon-chat-gpt.png)
L’occasion s’est présentée de désherber le rayon « Arctique » de ma bibliothèque : explorations, conquête du pôle, ethnologie, etc... En dehors de quelques titres évidents et de 4ème de couverture évoquant Robinson, j’ai toujours hésité à accumuler trop de romans, de récits de voyages, d’expéditions scientifiques, de naufrages, d’odyssées, de raids, de manuels de survie sur ce sujet, conscient que ma bibliophilie finirait par me submerger. J’ai résisté. Avec modération. Rechuté. C’est compulsif ! Convaincu des liens évidents entre hivernages et robinsonnades. Mais aujourd’hui c’est l’heure du tri !
Pour ce qui me concerne, désherber ne consiste pas tant à dégager de la place pour de futures acquisitions, qu’à exhumer ces vieux papiers, les passer au fil de la lecture, leur insuffler vie. Et mine de rien cela représente une belle brochette. Mais par où commencer ?
/image%2F1036306%2F20250421%2Fob_56ed5d_blond-2-mers-froides.jpg)
En toute logique par le tour d’horizon encyclopédique de Georges Blond et « La grande aventure des océans – les mers froides ». La reconnaissance que j’y fait dans le sillage des explorateurs de l’âge d’or, m’inspire un cheminement pour conjurer le syndrome de la page blanche, d’abord par le Passage du Nord-Est : le Spitzberg puis par le Passage du Nord-Ouest : le Groenland. Deux piles inégales. Mais quelle que soit l’option, c’est du même tabac. Drame sur drame. Pas un instant de répit. Mais pas pire que ce que j’ai lu à propos des îles australes : Kerguelen, Crozet, Amsterdam, Saint Paul.
Le Spitzberg est re-découvert par Willem Barentsz fin 16ème siècle. De nouvelles puissances commerciales (Pays Bas, Angleterre) émergent en occident. Cherchent à contourner les routes maritimes ouvertes et contrôlées par l’Espagne et le Portugal, avec la bénédiction du Saint-Siège, et rallier la Chine, l’Asie par la voie du nord.
Mais jusque-là ces mers froides étaient juste fréquentées par les autochtones, scandinaves et russes, par les pêcheurs et les baleiniers portugais, basques, bretons, hollandais, par les chasseurs de fourrures et d’ivoire qui y hivernaient souvent. Jaloux de leurs « coins de pêche » ils ne cartographiaient ni ne partageaient rien. C’est donc à tâtons que les premiers explorateurs sondèrent ces mers à leurs risques et périls.
/image%2F1036306%2F20250421%2Fob_51c106_prisonniers-des-glaces.jpg)
« Prisonnier des glaces – 1594-1597 », l’hivernage de Willem Barentsz, est ma seconde escale. Il décrit l’errance, le blocus des glaces, surtout l’hivernage, l’architecture de sa « maison de survie », le cantonnement, la vie quotidienne, l’acclimatation aux rigueurs météorologiques, à la désolation, à la solitude, à la nuit polaire, aux restrictions, aux problèmes de santé, etc… L’hivernage était envisagé et l’équipage sauve des cales du navire meurtri : vivres, outils, ustensiles, textile, armement, etc… tire parti des ressources locales : bois flottés en provenance de Sibérie et gibier à fourrure notamment. Force est de constater l’autorité de Willem Barentsz et la solidarité de l’équipage. Ce n’est pas toujours le cas !
Commence alors une existence précaire, rythmée par les saisons, la météo changeante, la débâcle de la banquise, les migrations animales, les travaux, les corvées, etc… qui autorisent ou pas des sorties, des parties de chasse, de braconnage et de fait une relative abondance, le rationnement ou la famine.
/image%2F1036306%2F20250421%2Fob_ee8af3_ours-barentsz.jpg)
L’héroïsme de ces hommes se traduit tout autant par leur résistance au climat et aux privations, que par leurs confrontations au prédateur ultime : l’ours blanc. Il inspire l’effroi. Imprègne les témoignages des naufragés puis les scènes d’action des romans d’aventure, de sa férocité, du siège intrépide et agressif des cabanes, des navires naufragés, des corps à corps sanglants avec les marins démunis. Les mousquets défaillants, c’est à la pique, à la hallebarde ou à la hache qu’ils repoussent ses assauts. On rencontre aussi des ours sur le qui-vive, surpris, pleutres, qui déguerpissent au son de la voix ou de grands mouvements désordonnés.
/image%2F1036306%2F20250421%2Fob_3795f9_maison-de-survie.jpg)
L’hivernage aiguillonne l’ingéniosité. La « maison de survie » est faite de rondins de bois flottés. Emballée dans des voiles, comme un Christo, pour en assurer l’étanchéité. Aménagée pour y vivre le plus confortablement possible. Animée pour éviter le relâchement, la dépression : loisirs, exercices physiques, bains, régime alimentaire, respect du calendrier et des fêtes religieuses, etc. Malgré tout, les marins souffrent et s’affaiblissent. Certains sont victimes du scorbut.
Cette « maison de survie » sera retrouvée telle quelle, ou presque – une partie du bois a servi à rafistoler les canots endommagés - trois siècles plus tard, en 1871, à la grande surprise de Carlsen. Les objets qu’il y trouve intacts sont désormais conservés au Rijksmuseum d’Amsterdam, à Saint Pétersbourg, à Arkhangelsk et Tromsø.
En lisant Georges Blond, on conçoit bien la différence qu’il y a entre le naufrage accidentelle et l’anticipation de l’hivernage. Ces expéditions tiennent compte des affres du climat, de l’isolement, de la monotonie et de leur impact sur la psychologie, l’entente au sein de l’équipage. Autre lieu, autre époque, voici ce qu’il écrit à propos de l’hivernage de William Edward Parry en 1819 et de l’emploi du temps en vigueur :
« Lever à six heures moins le quart, toilette, briquage du pont à l’aide de pierres et de sable emportés tout exprès et que l’on faisait chauffer. Appel, inspection des vêtements et des couchages, exercices d’incendie. L’après-midi, entretien et réparation du gréement et des voiles. L’après-midi, tant qu’il y eut un peu de jour, descente à terre (les navires étaient accostés le long d’une petite baie), marche et gymnastique ; puis, la nuit venue ou en cas de temps trop inclément, gymnastique et courses sur le pont, qu’on avait isolé sous une tente et que chauffaient des poêles au charbon. Accompagnés par un petit orgue, les marins chantaient des cantiques et aussi des chansons de bord, moins édifiantes ; dansaient aussi entre eux. Distraction plus culturelles pour les officiers : lecture, rédaction de mémoires, musique (nombreux flutistes et violonistes), parties d’échecs. Un hebdomadaire intitulé North Georgia Gazette and Winter Chronicle était régulièrement distribué [...]. Tous les quinze jours, représentations théâtrale ; le plus grand succès alla à une pièce comico-sentimentale intitulée La jeune fille de moins de vingt ans. Parry ayant constaté que, de tous les matelots de l’expédition, deux seulement savaient lire […] ouvrit aussi une école du soir. »
Pour en revenir au témoignage de Gerrit de Veer, il s’ouvre et se clôture par la rencontre avec les autochtones, les Samoyèdes d’abord - « que l’on tient pour sauvages, quoiqu’ils ne le soient pas absolument » - sur la défensive à l’approche de l’équipage mais prêt à parlementer ; les « Russiens » enfin qui portent secours aux survivants, perdus, à bout de force, qui canotent en quête d’un port de commerce pour être rapatriés après des mois d’isolement. Car le Spitzberg est désert. Inhabité.
Rien à voir avec le Groenland où les explorateurs font connaissance avec les esquimaux. De nombreux textes leurs sont consacrés – ils font pencher ma balance d’ailleurs ! - sous la plume d’explorateurs, d’évangélistes, d’ethnologues. Souvent avec curiosité et bienveillance. Parfois avec une pointe de xénophobie. Le sentiment général reste que la conquête du pôle est conditionnée par l’imitation de leur mode de vie … pour survivre.
Dans un « Que sais-je ? » sur « Le Grand Nord » (1951), Paul del Perugia liste en quelques lignes les hyperboréens russes. Selon lui venus du sud, refoulés et adaptés aux conditions climatiques extrêmes. Pour certains pratiquant une activité pastorale (rennes), pour d’autres la pêche hauturière ou côtière, la chasse (pelleterie, ivoire, etc). Il s’agit des Samoyèdes – on vient de les croiser - mais aussi des Lapons, des Vogouls, des Varègues, des Zirianes, des Kamchadales, des Kodiaks, des Tchouktchi, des Toungouses –qu’on rencontrera dans la tragédie de La Jeannette - des Ostiaks, des Youkaghirs et des Pomores dont il va être question maintenant.
/image%2F1036306%2F20250421%2Fob_d111bc_quatre-contre-l-arctique.jpg)
Avec « Quatre contre l’Arctique », David Roberts (alpiniste, journaliste) nous entraîne dans sa quête obsessionnelle de la vérité concernant le destin exceptionnel de 4 naufragés Pomores qui survécurent 6 ans sur une île de l’archipel du Spitzberg à partir de 1743 et en revinrent, malgré les épreuves, frais comme des gardons.
Le mémoire de Le Roy qui les a interrogés pour certifier leur récit est stupéfiant. La transcription des exploits d’Aleksei Inkof et de ses compagnons forcent l’admiration mais laissent David Roberts rêveur. Les invraisemblances du récit de Le Roy, le manque de précision, les questions sans réponse, l’absence de qualité littéraire et le manque de profondeur des personnages provoquent chez lui une certaine frustration.
C’est ainsi qu’il démarre son enquête. D’abord sur le net pour dénicher d’autres sources, de meilleures traductions qui corroboreraient, affineraient, éclairciraient certaines zones d’ombre. Elle se concentre sur ces Pomores, leur origine sibérienne, leur culture, leur vie quotidienne, la navigation, les méthodes de pêche, de chasse, leurs équipements. Mais internet s’avère vite limité. Les ressources en ligne décevantes (bibliothèques, musées) et les spécialistes (archéologues, géographes, historiens) sourds aux propositions de collaboration.
David Roberts s’entoure alors de traducteurs pour l’aider dans ses recherches, lire, traduire des documents scientifiques, les courriers à destinations des administrations russes, l’accompagner en Union Soviétique, à Saint Pétersbourg, Arkhangelsk, Mesen pour y rencontrer de façon inattendue des interlocuteurs clés, qui lui ouvrent des perspectives, le renseignent, l’émeuvent, le passionnent. Notamment le directeur du musée folklorique d’Arkhangelsk féru sur le sujet et de lointaines descendantes d’Aleiksei Inkof dont la mémoire s’est transmise avec fierté jusqu’à nos jours.
/image%2F1036306%2F20250421%2Fob_33683c_pomores.jpeg)
Son obsession est telle qu’il finance une courte expédition sur l’île de Halfmoon où il pense trouver des vestiges des Pomores. Avec ses compagnons d’aventure il rumine ses sources, les confronte au terrain, aux traces archéologiques. Les échanges houleux parfois accouchent pourtant d’une représentation concrète des épreuves de survie : tempêtes, neige, froid, humidité, isolement, chasse au renne, entretien d’une hutte, d’une lumière perpétuelle, parade contre les ours affamés, etc… et la façon de les surmonter avec peu de choses : le contenu de leurs poches, des pièces de bois flotté, les ossements blanchis de mammifères marins, le gibier qui fournit l’alimentaire mais aussi les tendons destinés à coudre les fourrures, fabriquer l’unique arc et les 4 seules flèches qui permettront d’abattre tout de même les 250 têtes de bétail du séjour – incroyable ! - et enfin comprendre peut-être le contexte dans lequel le texte a été rédigé et son manque d’ambition littéraire.
L’enquête se lit comme un polar et David Roberts conclut : « Si le même naufrage était arrivé à des marins anglais plutôt qu’à des russes, je crois que leur histoire aurait été aussi célèbre que celle de Robinson Crusoé. »
![]()
|
![]()
|
L’ouvrage suivant est un roman jeunesse distribué comme Prix d’Excellence, « Les naufragés du Spitzberg – ou les salutaires effets de la confiance en Dieu ». L’auteur est anonyme, la date d’édition inconnue, mais le roman est « approuvé par Monseigneur l’Archevêque de Tours ». C’est clairement un ouvrage destiné à l’édification des jeunes lecteurs. La préface est sans équivoque. Voici l’argument principal :
« Celui […] qui a su de bonne heure placer sa confiance en Dieu n’en est point délaissé au jour d’épreuves ; le malheur est une nouvelle raison pour lui de se rapprocher encore de ce bon père, qui nous châtie dans ses décrets impénétrables que pour nous rendre meilleurs ou plus heureux ; l’homme religieux élève ses mains vers le ciel, il prie avec ferveur, il offre à Dieu ses souffrances ; et si leur durée se prolonge, du moins il obtient, par la prière, un ineffable soulagement, et y puise une courageuse résignation. »
Si la lecture est orientée, l’aventure est à l’honneur. Elle calque le schéma narratif de Robinson Crusoé : désobéissance au père, incident de navigation et isolement dans des conditions extrêmes, soutien de la Providence, reconnaissance envers Dieu, morale.
Concrètement, 2 jeunes gens d’Arkhangelsk, fils et neveu d’un commerçant réputé, décident de s’enrôler, sans son consentement, sur la Junon pour une expédition arctique. Ivan, le neveu, est aventureux, charismatique, insouciant. Alexis, le fils, est influençable, réservé, suiveur.
Au Spitzberg le navire est pris dans une tempête puis dans les glaces. A l’approche d’une île, le pilote et les 2 jeunes gens sont envoyés en reconnaissance pour évaluer la possibilité d’y hiverner. A leur retour la tempête a balayé les glaçons, libéré et éloigné le vaisseau. Ils sont désormais seuls face à la nature hostile.
Ils découvrent les vestiges d’une hutte de chasseurs, puis d’une grotte abritée et aménagée, aux faux airs de bastion rocailleux, entouré d’un fossé. Un refuge protecteur contre des assauts des prédateurs. A chaque épreuve de la vie quotidienne, ils y découvriront des salles, des niches cachées qui recèlent une foultitudes d’outils, ustensiles, vêtement, barils de provisions, de sel, de boisson, d’huile, de poudre, etc … qui tombent fort à propos. Ainsi que le journal consternant d’un naufragé décédé. Mais cela ne les décourage pas de restaurer le bâti, d’isoler la maçonnerie, d’aménager des couchettes, de chasser, de récolter cochléaria et cresson qui sont de puissants antiscorbutiques, etc…
« Avec de faibles moyens, l’homme peut exécuter de grandes choses, pourvu qu’il ait de la bonne volonté et de la persévérance. Le besoin est un maître habile et très inventif. Nos 3 amis en sont un exemple frappant. »
Le récit culmine avec l’assaut bravement repoussé de 5 ours blancs dont le dernier est tué dans un corps à corps à la hache et à la baïonnette sur le pas de la porte.
La débâcle ramène dans l’archipel les baleiniers qui les ramènent à Arkhangelsk à la fin de leur campagne de pêche. La leçon est apprise. Chacun retrouve la raison. Alexis deviendra marchand comme son père et Ivan, capitaine.
/image%2F1036306%2F20250421%2Fob_9d5b2b_solitaire.jpg)
Le roman suivant avait sa place dans une saga groenlandaise. Mais la position des îles qu’aborde « Le solitaire malgré lui – aventures d’un voyageur abandonné sur une île déserte » laisse à désirer. Elles devraient se situer quelque part dans la baie du Labrador mais elles sont décrites comme volcaniques. Qui plus est en perpétuelle activité !? Cela ressemble plus à l’Islande. L’auteur - anonyme - s’est-il emmêlé les pinceaux ?
Si je l’intercale ici c’est par analogie. Plus encore que le précédent il assume sa vocation à catéchiser, dans la filiation de Saint-Charles Borromée – cité en préambule - qui fut désigné après le concile de Trente comme « patron de tous ceux qui s'engagent à instruire les autres dans la foi et, parmi eux, les catéchistes et les séminaristes. »
Le récit pâtit de cette vocation assumée. Les chapitres théologiques, moraux, instruisent sur les vertus salutaires de la foi, de la méditation, des rituels. Ils alternent avec les chapitres d’une aventure laborieuse, industrieuse où l’on décrypte sans cesse les signes de la Providence.
C’est donc le prétendu journal d’un jeune homme dont le père, ami de Voltaire et des Lumières, pousse son fils vers la poésie, le théâtre, les cercles littéraires à la mode. C’est surtout une charge contre l’athéisme des encyclopédistes et la libre pensée de Voltaire en particulier. « Ils ne s’étaient éloignés de Dieu que pour pouvoir s’adorer eux-mêmes. »
Son existence est bouleversée par l’effervescence révolutionnaire et malgré son engagement politique il émigre en Angleterre, dépassé par les extrémistes. Là, il s’engage à bord du Ptolémée pour une expédition arctique. A bord sa prétention intellectuelle, son manque de tact, l’isolent de l’équipage. Lors d’une partie de chasse sur la banquise, il s’écarte, se perd et voit le navire s’évanouir au loin. Sans lui. Face au désespoir, la philosophie, le stoïcisme, ne font pas long feu. Le vernis craquèle. La foi en Dieu ressurgit et calme ses angoisses existentielles. Lui permet de reprendre confiance en l’avenir.
Sa solitude, son isolement sur un îlot volcanique ressemblent à une retraite érémitique. Il prend conscience de la clémence divine à son égard et approfondit sa foi. Or, s’il peut compter sur la complaisance de la Providence il ne reste pas inactif pour autant. Au contraire. Une fois découvertes au pied du volcan des huttes enfouies sous la cendre, qui recèlent des provisions, des outils et ustensiles divers, il relève avec astuce, génie, maints défis techniques : pêche, chasse, jardinage, couture, forge, bâtiment, construction navale, etc…
« Quand il plait à Dieu de nous mettre aux prises avec l’adversité, le courage qu’il nous inspire est toujours proportionné à la difficulté de la lutte que nous avons à soutenir ; la victoire dépend toujours de nous, et ce serait mal excuser notre lâcheté que de dire qu’il peut y avoir un combat au-dessus de nos forces. La force du chrétien est celle de Dieu même. »
Parfois son ambition se retourne contre lui, notamment lorsqu’il veut explorer une île voisine et en rapporter faune et flore pour améliorer son domaine. Son enthousiasme, sa vanité sont balayés par une tempête et son canot brisé. L’addition est sévère, il se repentit et devra attendre le retour de la banquise pour traverser jusque chez lui. Il abandonne sa grotte pour un ermitage mieux situé qu’il transforme en Paradis terrestre. Il détourne un cours d’eau, crée un jardin, un verger, domestique des oiseaux, des cervidés et vit en fermier dans ce décor bucolique où il termine sa vie. Ce paysage d’île tempérée ne reflète plus le Grand Nord !
/image%2F1036306%2F20250421%2Fob_5e5c0f_amundsen.jpg)
Retour à la réalité avec Roald Amundsen et « Prisonniers de la banquise ». Finies les aventures maritimes. Voici venu le temps de l’aviation. Roald Amundsen joue sur les deux pôles. Il a déjà vaincu le Pôle Sud en décembre 1911. Le voici qui tente l’exploit de survoler le Pôle Nord par avion.
Roald Amundsen sait que la conquête du pôle – revendiquée par Robert Peary en 1909 – mais rien de moins sûr ! – est impossible par la mer et risquée en traîneau. Trop d’hommes y ont laissé leur vie. Il est persuadé que l’avenir appartient aux aviateurs. Qu’ils survoleront bientôt le continent arctique. Il y croit tellement qu’il passe son brevet de pilotage avant-guerre – celle de 1914/18 - achète un avion dont il se défaussera au profit de l’armée au début du conflit.
Avec le soutien financier de Lincoln Ellsworth, Roald Amundsen programme en 1924/25 de passer à l’acte et de faire un vol de reconnaissance. Deux hydravions : le N24 et le N25. Deux équipages restreints. Du matériel de survie le cas échéant. Le départ est donné de King’s Bay, un port minier du Spitzberg, où les avions sont assemblés avant de prendre l’air. Ils longent la côte : South Gate, l’île des Danois et l’île d’Amsterdam avant le grand saut au-dessus de la banquise.
Malheureusement le N25 a des ratés et consomme la moitié de son plein avant d’arriver au Pôle. Seule option : se poser et réparer. Plus facile à dire qu’à faire. La banquise n’est pas une piste d’atterrissage fiable. L’amerrissage est tout aussi délicat. Peu de chenaux sécures. Mais chose dite, chose faite. De son côté le N24 a amerri dans de mauvaises conditions. Il ne reprendra pas l’air mais son réservoir servira à refaire le plein du N25.
Lorsque les deux équipages sont enfin réunis, il faudra un mois de travaux forcés, de terrassements sur la banquise pour haler l’appareil à l’abri des mouvements des plaques et des glaçons à la dérive, niveler pas une, pas deux mais quatre pistes successivement car elles se détériorent au gré du redoux, de l’apparition de failles, etc…
Amundsen est stupéfait du travail titanesque de ses compagnons d’infortune :
« Abattre d’énormes pans de glace avec des couteaux des haches et une ancre, la tâche est dure. La gaîté et l’entrain n’en règnent pas moins parmi notre petite troupe, et c’est en chantant qu’elle poursuit sa pénible besogne. Maintes fois la situation me parait désespérée. A peine une crête de glace est-elle rasée qu’une nouvelle se dresse devant nous. Jamais une plainte, jamais un mouvement d’humeur chez mes camarades. Quelles que soient les difficultés, ils poursuivent la lutte pour la délivrance. Ils chantent, eux, tandis que l’inquiétude me dévore. Combien je suis fier de commander de pareils hommes. Ils font honneur à l’humanité. »
Malgré leurs craintes, l’appareil décolle, avec six hommes entassés à bord. Vole à l’aveuglette au-dessus de la brume. Longe la Terre du Nord-Est et amerrit près du Cap Nord où il est secouru par un baleinier. Le retour d’Amundsen et de ses hommes que tout le monde croyait morts, est un triomphe. On le retrouve à nouveau dans les airs l’année suivant mais à bord d’un dirigeable cette fois.
![]()
|
![]()
|
En l’espace de quelques jours j’avais mis la main sur deux enquêtes passionnantes : « L’expédition Nobile – en dirigeable au-dessus du pôle » de Garry Hogg et « Nobile au pôle – la tragédie de l’Italia (mai 1928) » de Wilbur Cross. J’enquille.
Le second est à mon goût plus structuré. Il resitue l’expédition dans son contexte, en restitue l’ambiance pesante, le complotisme : course au pôle et montée du fascisme en Italie. Il brosse les portraits d’un ingénieur et industriel passionné, fonceur et de ses adversaires véreux, qui intriguent dans les antichambres du pouvoir pour une poignée de postes gouvernementaux et qui n’hésiteront pas à attiser le scandale qui entoure le crash du dirigeable, le sauvetage arbitraire de Nobile, à le discréditer, à l’accuser de lâcheté, à l’abandonner dans une tempête médiatique dont il ne se remettra jamais.
En 1926, Roald Amundsen vainqueur du Pôle Sud, a financé le survol du Pôle Nord à bord du Norge, un dirigeable italien piloté par son concepteur en personne, Umberto Nobile. Contre toute attente l’un et l’autre revendiquent l’exploit. En quel honneur ? Les deux hommes ne sont pas associés. Nobile n’est que fournisseur de l’expédition ! C’est la brouille.
Malgré le soutien nationaliste de Mussolini et une tournée triomphale, Nobile en conserve un goût amer et conçoit un projet personnel incontestable : le survol du pôle et l’atterrissage le temps d’y réaliser des mesures scientifiques, etc…
/image%2F1036306%2F20250421%2Fob_ac3fb3_mat-amarage-2.jpg)
A nouveau le départ est programmé de King’s Bay au Spitzberg. Bénéficiant de la logistique d’un navire d’assistance, le Citta de Milano, de l’ancien mât d’amarrage du Norge et du hangar attenant. L’expédition s’envole sous les meilleurs auspices, survole le pôle, y largue une croix bénie par le pape et un drapeau italien.
Mais la météo s’est dégradée. Le gel complique les manœuvres. Plus question d’atterrir. C’est sur le chemin du retour que le dirigeable se crashe au nord-est du Spitzberg. Ettore Arduino a la présence d’esprit de jeter pêle-mêle par-dessus bord des bidons d’essence, du ravitaillement et des équipements. Mais délesté d’une moitié de l’équipage et de la nacelle, le dirigeable est aspiré dans les airs avec les derniers aérostiers, sans grand espoir de le retrouver vivants.
Sur la banquise le campement s’organise autour d’une tente badigeonnée de rouge pour être visible du ciel, à peine assez grande pour abriter les blessés (parmi lesquels Nobile), le matériel, les autres survivants.
Nobile conserve d’abord une certaine autorité. Il organise « un système de corvées, moins pour répondre aux exigences de la vie sous la petite tente que pour occuper [ses] compagnons ». Mais « à présent, les rôles étaient plus ou moins clairement définis, les tâches à accomplir n’avaient rien de familier ; on ne les avait pas préparés à affronter ces circonstances. Dans de telles conditions, il était donc parfaitement naturel que l’équipe si parfaitement fondue à bord du dirigeable en vint à se désagréger de plus en plus rapidement au fil des jours. »
C’est pour ne pas envenimer les relations d’ailleurs que Nobile accepte à contre cœur de laisser partir trois hommes en éclaireurs. Mal leur en prendra. Mal équipés. Présumant de leurs forces. Reculant au fur et à mesure qu’ils avancent sous l’effet de la dérive des glaces, ils s’épuisent. Deux d’entre eux seront sauvés in extremis.
Pendant ce temps, Biagi s’entête à lancer des « S.O.S Italia ». Mais le Citta de Milano n’est jamais à l’écoute, pire il diffuse des messages personnels à longueur de temps. C’est un radio amateur d’Arkhangelsk qui lancera finalement l’alerte. Les secours venus du monde entier s’organisent en ordre dispersé, avions, baleinier, brise-glace, traineaux. Chacun à son rythme. Chacun dans la panade d'une façon ou d'une autre. Même Amundsen se lance au secours de son ancien ami mais il disparaitra corps et bien au cours de la mission. Seuls les italiens sont aux abonnés absents !
Les premiers à survoler le site du crash parachutent du ravitaillement avec plus ou moins de succès : vivres, vêtements, médicaments, armement, cigarette, bouillon. Un pilote casse-cou se pose et embarque Nobile de manière arbitraire - On le lui reprochera, le capitaine du Titanic est bien resté aux commandes jusqu’au bout ! - et promet d’effectuer des rotations pour secourir les naufragés au fur et à mesure. A moitié soûl, il se crashera au retour.
/image%2F1036306%2F20250421%2Fob_07c58c_krassin.jpg)
En attendant, Nobile est accueilli froidement et consigné dans sa cabine du Citta de Milano. C’est le début de la fin pour lui. La presse internationale le charge sévèrement. L’état fasciste s’en lave les mains. Heureusement, le brise-glace russe le Krassin recueille tous les survivants dispersés sur la banquise. Le retour via la Scandinavie n’est pas très glorieux. Même la commission d’enquête que Nobile exigera en Italie ne parviendra pas à laver définitivement son honneur. Ces deux enquêtes tentent de faire la preuve de l’injustice dont il est victime.
/image%2F1036306%2F20250421%2Fob_eeae44_robinson-airs.jpg)
Impossible de conclure sur de tels désastres ! J’ouvre le volumineux « Robinsons de l’air » (1909) du commandant Driant alias Capitaine Danrit qui nous entraîne à bord du dirigeable fuselé le « Patrie » dans une traversée épique et sentimentale, de Verdun au Klondike.
Le pitch ? Alors qu’il invite la séduisante Christiane de Soignes à bord du dirigeable « Patrie » qui fait la fierté de la nation, Georges Durtal est victime d’un sabotage. Les amarres sont sectionnées et le dirigeable s’envole et survole l’Europe du nord, porté par des vents violents. C’est l’occasion pour lui de faire preuve d’audace et de courage pour piloter seul l’engin sous le regard énamouré de la jeune femme enflammée. Pas question de lâcher du lest et de tomber aux mains de l’ennemi allemand mais le ballon se dégonfle, son enveloppe devient flasque, il est urgent de trouver refuge dans un fjord norvégien.
Le jeune couple y fait la connaissance de Sir James Elliot qui tente désespérément de gagner un pari et rejoindre le pôle. Sa course contre la montre est compromise par l’arrivée de l’hiver. L’atterrissage du « Patrie » est peut-être l’opportunité de relancer ses chances de victoire. Il essaie alors de tordre le bras à Georges Durtal en lui proposant un deal : regonfler le ballon à condition de le conduire au pôle. Durtal est outré, le « Patrie » n’est pas à louer mais il se laissera finalement convaincre par Christiane, le patriotisme chevillé au corps, qui pense à l’intérêt supérieur de la Nation et voit là l’occasion exceptionnelle de faire rayonner le prestige de la France dans une course au pôle dont elle est absente à son grand damne.
Une longue scène de marchandage retors pique ma curiosité. Elle fait écho à l’actualité et en dit long sur la façon dont l’auteur, déjà à l’époque (1909), percevait les américains et sur l'étonnante « sidération » qu’expriment désormais les experts qui couvrent les 100 jours de Donald Trump ! Conclusion de la séquence en une phrase :
« Un dernier mot, monsieur le lieutenant : veuillez excuser, et vous aussi, mademoiselle, le pitoyable marchandage par lequel j’ai commencé. C’est un peu notre habitude, à nous autres Américains, de traiter toutes les questions comme nous traitons les affaires ; mais cette manière, je n’hésite pas à le reconnaître, est indigne de vous. »
Regonflé à l’hydrogène le dirigeable poursuit donc son périple avec Sir James Elliot, sa femme, un scientifique et un domestique à bord. Il survole Advent-city, un camp minier du Spitzberg avant de se rapprocher du pôle et s’y poser. Malheureusement une erreur de calcul les privera finalement de la victoire mais ils découvriront le sanctuaire où repose Salomon August Andrée un aérostier suédois disparu depuis 1897. Le romancier précède à peine la réalité puisque les vestiges de l’expédition seront découverts fortuitement en 1930 sur l’île de Kvitøya. La fin de l’aventure est semée de rebondissements qui s’inspirent sans conteste de « Cinq semaines en ballon » de Jules Verne.
/image%2F1036306%2F20250421%2Fob_8070a3_5-semaines.jpg)
C’est d’ailleurs avec ce roman emprunté à la bibliothèque du centre de cardiologie d’Evecquemont que je termine mon Passage du Nord-Est. Evidemment il s’agit d’une traversée de l’Afrique, d'ouest en est, de Zanzibar à Saint Louis du Sénégal, mais tous les ingrédients de suspens sont déjà là. Et puis dès les premières pages il y ait fait mention de Selkirk/Robinson parmi les « maîtres d’aventure ». Voici le portrait que Jules Verne fait du Dr Samuel Fergusson :
« Qu’était donc ce docteur, et à quelle entreprise allait-il se dévouer ?
Le père du jeune Fergusson, un brave capitaine de la marine anglaise, avait associé son fils, dès son plus jeune âge, aux dangers et aux aventures de sa profession. Ce digne enfant, qui paraît n’avoir jamais connu la crainte, annonça promptement un esprit vif, une intelligence de chercheur, une propension remarquable vers les travaux scientifiques ; il montrait, en outre, une adresse peu commune à se tirer d’affaire ; il ne fut jamais embarrassé de rien, pas même de se servir de sa première fourchette, à quoi les enfants réussissent si peu en général.
Bientôt son imagination s’enflamma à la lecture des entreprises hardies, des explorations maritimes ; il suivit avec passion les découvertes qui signalèrent la première partie du XIXe siècle ; il rêva la gloire des Mungo-Park, des Bruce, des Caillié, des Levaillant, et même un peu, je crois, celle de Selkirk, le Robinson Crusoé, qui ne lui paraissait pas inférieure. Que d’heures bien occupées il passa avec lui dans son île de Juan Fernandez ! Il approuva souvent les idées du matelot abandonné ; parfois il discuta ses plans et ses projets ; il eût fait autrement, mieux peut-être, tout aussi bien, à coup sûr ! Mais, chose certaine, il n’eût jamais fui cette bienheureuse île, où il était heureux comme un roi sans sujets… ; non, quand il se fût agi de devenir premier lord de l’amirauté ! »
Voilà, mon séjour se termine. Je remballe mes livres au milieu des chemisettes à carreaux défraîchies, des sports wear avachis, des serviettes de bain rêches. J'ai une saga groenlandaise sur le feu. Juste le temps de reprendre un peu mon souffle...