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Into the wild 22

J’ai mis du temps à terminer l’écriture de cette critique. Ma dream team de chroniqueurs aura été plus studieuse que moi ! Sans conteste !

Sur Cocoon Island, je suis comme un Robinson fainéant. Tout à ma langueur. Sans contrainte ni obligation. Je vaque, de ma paillasse au rivage, histoire de ferrer quelques dépêches et du rivage aux fruits de ma passion, manuscrits rares et jaunis et toute une luxuriance de brochures, fascicules, opuscules ; une abondance de chroniques, archives, annales et mémoires ; une exubérance de fictions, nouvelles, contes, fables, mythes et utopies. Je n’ai qu’à tendre la main pour cueillir, dévorer et digérer toute cette littérature. Eternel recommencement d’un jour sans faim.

Alors, oui, j’ai pris mon temps. Le temps de ressasser et lâcher mes premières impressions. Et puis de lâcher prise. De tout balayer d’un revers contrarié. Et tout recoller mot par mot, comme une mosaïque. A dégrossir mes réflexions à la varlope. Suivre le fil des idées. Ciseler des phrases. Policer le texte. Lui donner une patine. Mais rien à faire, l’essai est récalcitrant. Et mon insatisfaction galopante. J’ai voulu sculpter un chef d’œuvre et je n’ai taillé qu’une babiole. Déception Bay ! Je n’ai plus qu’à compiler et compresser. A faire de mon Rodin un César. Pourvu que ça ait de la gueule !

le point

Au commencement, souvenez-vous … « Au nom du père, du fils et de la littérature », un article de Marine de Tilly qui place d’une certaine façon « Sukkwan Island », « La route » et « Into the wild » sous le haut patronage des robinsonnades. En effets, tous les ingrédients y mythonnent gentiment : solitude, nature, survie…Mais l’essentiel se joue bel et bien dans les relations père / fils. Relations intimes, étouffantes, maladroites, pénibles, conflictuelles qui nous ramènent aux origines du récit...

Avant le naufrage sur l’île du Désespoir, il y a la fugue. Robinson se brouille avec son daron et s’enfuit à bord du premier navire venu. La désobéissance est le premier acte d’un enchaînement de tempêtes, d’avaries, d’esclavage, d’essartage, de plantation de sucre et de tabac, de revers de fortunes, de commerce triangulaire… jusqu’au naufrage, la repentance et la pénitence sur l’île. C’est en quelque sorte une illustration de la parabole de « l’enfant perdu ». Du fils indigne qui part à la découverte du monde. Fils qu’on croyait mort, qui reparaît et que l’on fête dans la grande scène du « retour du fils prodigue ». Mais ni Robinson ni Chris McCandless n’y tiendront ce beau rôle !

 

BELLE Clément  Esteban Murillo  Pompeo Batoni 003

Hé oui, les mêmes causes produisant les mêmes effets, Chris McCandless tente lui aussi d’échapper aux pressions familiales, à une vie et une carrière toutes tracées. Il a enduré l’autorité parentale jusqu’à sa majorité. Il ne se sent désormais plus redevable de quoique ce soit et brise ses chaînes. Viva la vida ! Viva la libertad ! Son départ dans le plus grand secret a pourtant tout l’air d’une fugue – c’est la grande évasion ! - à ceci prêt qu’elle est préméditée, pas impulsive. En tout cas le message a le mérite d’être clair : « Laissez-moi respirer », « Laissez-moi vivre ». C’est un cri de révolte et d’indépendance.

Mais n’est-ce pas un peu immature ? On compatit néanmoins bien volontiers : le père est borné, les conversations capotent. Par contre on comprend mal sa répugnance à donner des nouvelles rassurantes par la suite. Qu’est-ce qu’il veut donc faire payer à sa famille ? Sa bâtardise ? Le secret de famille éventé ?  Il ne peut pas ignorer leur inquiétude ! Et justement, l’enquête de Jon Krakauer comble ce grand vide qui ronge les robinsonnades, centrées sur le naufragé, à savoir qu’en est-il de l’entourage ? Les veines recherches, le désarroi, la culpabilité, l’incompréhension…Pouah ! La chape de plomb ! Est-ce qu’au moins le récit et le film auront servi de catharsis à Walt et Wilhelmina McCandless ?

A partir de là, les 3 romans déclinent, chacun à sa façon, les grands thèmes propres aux robinsonnades. La solitude, d’abord, subie ou désirée. En tout cas sujet de méditation et de re-construction. Alexander Supertramp, à nouveau né, mène une quête extatique qui ne relève pas de l’érémitisme. Il est en quête de sens, pas de croyance ! En quête d’émotion, d’inspiration, d’illumination face au spectacle grandiose de la nature. Une nature qu’il embrasse littéralement. Dans laquelle il s’immerge, se fond et s’égare. Il est sûrement en quête d’une vérité absolue qui s’exprime de façon parfaitement triviale au travers de la formule « Qui suis-je, où vais-je et dans quel état j’erre ? ».

Ouais, c’est un grand idéaliste ! Et un téméraire ! Avec cette conviction et cette intransigeance propres à la jeunesse. Et personne ne devrait réduire sa disparition prématurée à son imprudence ou à son incompétence. Chris Mc Candless n’est pas un homme des bois. Alors le « oubliez le jeune Mac Candless qui n'a pas tenu bien longtemps, voila un vrai de vrai, un type qui est parti à 50 ans passés vivre seul dans une cabane en rondin contruite de ses mains en Alaska et qui y a vécu 30 ans ! » d’un internaute pour faire la promo d’une vidéo de Dick Proenneke, n’a pas beaucoup de sens.

Dick Proenneke 3 Dick Proenneke 4 Dick Proenneke

Le parcours de Dick Proenneke me rappelle assez celui de Tom Neal, le « Robinson des mers du sud ». Un mec qui bourlingue de taf en taf. Plutôt manuel. Un jour charpentier, le lendemain mécano ou pêcheur. Adepte de la vie au grand air. Sans trop d’exigences de confort. Qui décide d’aller se fixer en Alaska et y reste 30 ans. J’imagine que son quotidien n’est ni plus ni moins palpitant que celui de John Haines que son éditeur Gallmeister présente comme l’un des derniers trappeurs de l’Alaska sauvage et qui nous livre ses mémoires dans « Vingt-cinq ans de solitude ».

Dick Proenneke, alone in the wildness 25 ans de solitude

L’homme à l’épreuve de la nature, loin de la société industrielles et de la division du travail, loin de la société de consommation, redécouvre l’autarcie. Une bonne occasion de se prouver ce que l’on vaut, de tester ses limites, de se créer un univers propre. Mais cette liberté est peuplée d’absences. « Le bonheur n’est réel que lorsqu’il est partagé. » C’est un peu la morale du film de Sean Penn. Mc Candless est mûr pour retourner en société mais c’est un peu tard. Il est pris au piège d’une nature, sans haine ni passion – il n’y a pas le moindre signe d’une volonté immanente – mais parfois fatale à celui qui s’y risque sans y être parfaitement initié. L’expérience ne peut pas être que livresque. Pas vrai Frédo ?

Into the wild 15  into the wild 26

Et cette épitaphe énigmatique sur le cadavre d’un randonneur anonyme est en réalité le point de départ d’une enquête journalistique. Jon Krakauer couvre l’évènement, remonte la piste, identifie le corps, interview sa famille, ses fréquentations tout au long de son périple, peint un portrait par petites touches, éclaire les mobiles de sa quête, explique les motifs du drame.

Or l’enquête n’est peut être pas si distanciée que cela. L’auteur affirme lui-même s’être confronté au danger, avoir risqué sa vie en relevant des défis. Quelque chose chez Mc Candless le renvoie à ses propres pratiques d’alpinistes casse cou et à toute une génération de rider risque-tout. On en a un bel exemple au cinéma en ce moment avec la mésaventure d’Aron Ralston, portée à l’écran par Danny Boyle sous le titre de « 127 heures ».

 

Ce livre – j’ai encore du mal à dire roman ! – ne m’aurait sûrement pas intéressé si Didier n’en n’était pas fan. Il y a chez ce jeune homme quelque chose qui relève du radicalisme et de l’absolutisme qui sont liés aux grands tremblements, aux révolutions, aux indignations de l’adolescence. Je ne les partage pas. Je suis par nature plus timide, réservé, timoré ! Mais comme tout le monde j’ai eu des velléités de tout plaquer, de prendre la route, les mains dans les poches, le nez en l’air, à vivre de l’air du temps. C’était toujours pour de mauvaises raisons ! Je crois. Alors je suis resté planté là. Et je n’ai fait que le tour de l’île de France…

 

Didier

Et oui, c’est encore moi, le « flagorneur »… Pour la troisième partie de cet article, Into the Wild. Des trois bouquins proposés par Gilles, c’est à mon sens celui qui se rapproche le plus du Nature Writing, car il y a véritablement dans cette histoire une volonté de la part du héros de s’étalonner au monde sauvage pour éprouver ses idées sur le terrain et les mettre en pratique.

 

Avant tout, il convient d’évoquer une version alternative du récit que nous livre Krakauer, il s’agit d’un documentaire intitulé The Call of the Wild réalisé par Ron Lamothe et dans lequel on notera de sérieuses différences d’appréciation. L’on y insistera d’avantage par exemple sur l’amateurisme du jeune aventurier, son manque de maturité, bref, son inconscience. Bien sûr, bien sûr… Mais ça n’est pas cela qui m’intéresse. Evidemment, l’issue tragique est choquante, et sans doute l’aventure en est elle entachée, mais il me semble que déprécier la démarche de McCandless non seulement n’apporte rien mais c’est en outre injuste. On ne peut ni ne doit ramener l’entreprise à une simple randonnée qui tourne mal… C’est plus que ça !

 

Parfois quelque lointain soleil explose aux confins des galaxies et projette en tous sens des éclats incandescents qui fusent et se consument et disparaissent… Alors certes ça n’est jamais qu’un gros caillou qui brûle bêtement de par les lois de la physique et de la chimie. Il n’empêche… Vu d’ici bas par un œil un tant soit peu poète, c’est un trait de lumière dans l’obscurité insondable de l‘espace, une fulgurance, pas plus, mais c’est déjà ça, quelque chose où accrocher un rêve ou un vœu…

 

J’aime cette énergie de la jeunesse, cette fougue et cette passion, je trouve ça beau, et même il m’arrive de soupirer en songeant que j’ai perdu tout ça, la soif de vivre et l’ivresse de se sentir vivant… (Vieux con, va…) Et quant aux dérivatifs habituels des types de mon âge, l’adultère, la fraude fiscale, etc… Bof !

 

Alors, c’est comme ça que je prends cette aventure d’Into the Wild, comme un hymne à la jeunesse, plutôt qu’une vie gâchée. Reconnaissez que ça a tout de même plus de gueule que de glandouiller dans les cages d’escaliers d’une cité HLM, non ? Ces gars-là ne rêvent même plus, ils ne savent pas, et c’est là, à mon sens, qu’est le véritable gâchis… (Gilles en parlerait mieux que moi, lui qui bosse avec eux à longueur d’année.)

 

Donc, McCandless est jeune et souhaite voir du pays. Il pourrait s’engager dans la Marine, mais non… Marre des consignes, de l’esprit de groupe, de l’allégeance à des dogmes, il veut exister par et pour lui-même. Il a obtenu son diplôme et ingurgité tout ce qu’on lui a enseigné, aussi, avant d’emboîter le pas des aînés sur un chemin tout tracé, désire t’il voir autre chose et se faire son propre avis. Une déclaration d’indépendance ? Je n’irais peut-être pas jusque là. Mais l’affirmation de soi, de sa singularité, un acte manifeste en tant que personne adulte et responsable :

 

Ceci est MA vie.

 

En coupant les ponts avec sa famille, il se préserve d’éventuelles interférences et se rend disponible aux nouvelles rencontres. Il établit entre eux et lui une sorte de zone tampon sous la forme d’une expérience qui lui soit propre et lui serve de fondation, parallèlement à l’éducation qu’il a reçu, qu’il ne renie pas mais qu’il estime trop conventionnelle. Il entend aborder le monde par d’autres voies, et lier avec ce monde une relation intime, en direct live.

Alors on dira « mal préparé », « stupide », etc… Je réponds : Les voyages forment la jeunesse. Mais de nos jours on attend d’être à la retraite pour s’offrir un camping car et partir à la queue leu leu sur des itinéraires balisés par GPS et validés par Bison Fûté, et l’on vidange ses eaux usées aux endroits prévus à cet effet…. Wahou, quelle aventure !

 

Certes McCandless prend des risques. Mais il les assume. On lui reproche son égoïsme, le fait de ne pas s’attacher, de ne pas tenir compte des sentiments à son égard, je pense quant à moi qu’il essaye simplement de préserver autrui en ne mêlant personne à ses petites affaires, il sait très bien que tout n’est pas rose quand on fait la route et qu’à certains moments ça craint carrément. Oui, il s’est imprégné des théories transcendantalistes qui peuvent paraître un peu romantiques, mais il n’est pas dupe et ne part pas la fleur au fusil. Il ne s’improvise pas robinson du jour au lendemain (contrairement au Jim de Sukkwan Island) et s’aguerrit au fil des pérégrinations qui précèdent son grand saut. Et puis sa démarche est différente de celle de Jim, lequel débarque (échoue) en bout de course, tandis que lui est sur la rampe de lancement, en passe de réaliser un rêve. Jim agit en dilettante, toujours un peu à côté de ses pompes, McCandless est en prise directe avec la réalité. Il y a chez ce jeune homme une véritable conviction, et une grande détermination. Il ne fait pas du tourisme.

 

Krakauer bâtit son bouquin comme une enquête, une sorte de jeu de piste dans lequel la personnalité de McCandless prend forme comme un puzzle. Certaines blessures se révèlent (mais qui n’en a pas ?), des casseroles de famille qui ont certainement leur incidence sans pour autant que Chris en soit complètement névrosé. (Peut-être Sandrine nous en touchera-t-elle deux mots ?) Lorsqu’il arrive en Alaska, presque toutes les pièces de ce puzzle sont en place, et absolument rien ne permet d’étayer l’hypothèse d’un quelconque suicide. Au contraire ! Il n’est question que d’un hiver dans le Wild, après quoi il a prévu de repartir. Ce sont les circonstances, en l’occurrence le débit d’une rivière gonflé par la fonte des neiges, qui vont contrarier ce projet. Sans quoi McCandless aurait parfaitement réussi son coup, malgré son amateurisme et son manque d’équipement… Et la fin eut été différente.

 

Si l’on considère tout le périple qui précède cette immersion « into the Wild », le road movie à travers les States (et jusqu’au Mexique), on constate que McCandless maîtrise plutôt bien son sujet. Il ne donne pas l’impression d’être indigent, même s’il rencontre quelques difficultés et des moments de grande solitude. Les obstacles qu’il franchit jalonnent un parcours initiatique au fil duquel il découvre la liberté, le monde qui l’entoure, ainsi que l’homme en devenir qu’il porte en lui, et tout ça le conforte dans sa démarche première, de laquelle il ne dévie pas. Oui, probablement qu’il se grise un peu. Mais je ne lui jetterai pas la pierre, moi qui ai quitté Versailles à 19 ans (en mobylette…).

 

Qui dit road movie, dit hasard, imprévu, bonne ou mauvaise fortune, et dans tous les cas nécessité d’être réactif et opportuniste. L’on est à fond dans l’instant, avec cette sensation jouissive d’avoir son destin en mains. De fait, Chris est animé d’une sorte d’exaltation où se mêlent action et fantasme (son personnage d’Alex Supertramp). De par cette urgence dans laquelle il vit, il manque de distance, de recul. Spontané, enthousiaste, il n’a ni hésitation ni regret. « Hit the road, Jack…» Il veut tout simplement vivre avec intensité, comme tous les jeunes normalement constitués, cette jeunesse étant à la fois sa force et sa faiblesse. « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans » disait Rimbaud.

 

Sensation

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,

Picoté par les blés, fouler l’herbe menue ;

Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds,

Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :

Mais l’amour infini me montera dans l’âme,

Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,

Par la Nature, heureux comme avec une femme.

 

Il ne s’agit pas du tout ici d’une expérience scientifique ! Les notions de temps, de distance, ainsi que l’aspect pratique des choses sont secondaires aux yeux de Chris. Il fonctionne par étapes plus ou moins aléatoires qui procèdent de rencontres fortuites ou de conjonctures. (On peut d’ailleurs se demander dans quelle mesure ces rencontres, sur lesquelles le film met l’accent, reproduisent la « cellule » familiale qu’il a quittée, nous verrons ce qu’en dit Sandrine…)

 

L’Alaska, donc. En pleine Nature. Seul et sans expérience, se frotter à l’hiver boréal.

McCandless ne va pas au combat, il aborde le truc à sa façon, cool, l’esprit ouvert et le cœur offert. Et il passe l’Hiver ! Mais il commet l’erreur d’attendre le dégel pour quitter sa retraite, il ne peut rentrer comme prévu, n’a pas de plan B, ni provisions, ni munitions… À partir d’ici, les versions diffèrent. Comment se peut-il qu’il n’arrive pas à se tirer de ce mauvais pas, lui qui a surmonté tant de difficultés ? Peut-être s’intoxique-t-il, on évoque également une blessure à l’épaule… Il s’affaiblit, n’assure plus, n’a nul recours. Fin.

 

C’est comme ça, le Wild ne fait pas de sentiment. C’est la dure loi de la Nature, les malades sont éliminés. Cependant, si cette histoire de McCandless nous frappe, je ne crois pas que ce soit simplement dû à la pitié qu’elle nous inspire. Elle touche à cette part de nous qui remonte aux origines, notre relation à la Nature. Peut-être est-ce là aussi ce qui fait l’attrait des robinsonnades ?

 

Je terminais ma réflexion au sujet de La route de McCarthy par cette idée que la Nature a horreur du vide, que la Vie est inexpugnable. L’Homme quant à lui, s’interroge et, ce faisant, avance. (« Ce faisan avance… ») Pourquoi ne pas combiner ces deux paramètres ?

Méditer la Nature, sans doute y a-t-il là une voie à explorer. Le Nature Writing me semble révélateur d’une tendance allant dans ce sens.

 

 Oui, oui, « Into the wild » est un road movie. L’itinéraire de Chris Mc Candless alias Alexander Supertramp en évoque un autre, d’ailleurs, celui de Jack Kerouac, alias Sal Paradise. C’est par contre une plongée dans le grand vert. Pas un trip ! Mc Candless régénère le mythe de l’homme naturel et le Magic Bus est érigé en temple pour altermondialistes. L’atmosphère me rappelle parfois celle de « Ao le dernier Neandertal », le grand aîné de cette longue généalogie d’hommes naturels au cinéma ! moa3
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L’âge d’or des origines, du bon sauvage bien ancré dans sa niche écologique, vivant en osmose avec la nature, prélevant respectueusement juste ce dont il a besoin est une vue de l’esprit. Les clichés volés d’une tribu amazonienne présumée isolée, prise d’hélicoptère en 2008, ont relancé la polémique sur notre façon de penser le contrat fusionnel entre l’homme et la nature : faut-il aller à sa rencontre ou créer une réserve pour la protéger du grand méchant préda-civilisa-teur ? Et si on leur posait la question ? Et s’ils n’hésitaient pas un instant à rejoindre la société de consommation ? Ce serait, là, vraiment, la fin de nos illusions.

 

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A se demander finalement si cette manie de prendre la route n’est pas inscrite dans les gênes. Cet esprit pionnier qui caractériserait la « mentalité américaine » ! Un peuplement par vagues successives d’immigrations. Et l’espoir de vivre libre, selon sa foi et sa loi.

Le pionnier est un nomade. Un voyageur sans bagages ou presque. C’est un indécis. Un imprévisible. Toujours en alerte. En mouvement. Sautant sur la moindre occasion de faire fortune. Se lançant dans des aventures éphémères. Plein d’illusions. D’ambitions. C’est souvent à ses risques et périls. Souvenez-vous de la ruée vers l’or du Klondike, à la frontière de l’Alaska et du Canada ! Mais le pionnier est aussi un envahisseur, un spoliateur, un colonisateur, un criminel. C’est déjà moins glorieux !

klondike  Klondike campement  kondlike mineurs

Or, si le pionnier est une figure héroïque de la conquête de l’Ouest Américain, le coureur des bois, le trappeur, frappe de ses exploits l’imaginaire des romanciers classiques du grand nord : Jack London et James Oliver Curwood en tête. Fenimore Cooper et Gabriel Ferry à la marge. Une plongée au cœur de la forêt qui abrite tout un peuple de marginaux, d’indiens, de chasseurs et de chiens de traîneaux, de bûcherons, de trafiquants ... Bref, un exotisme réfrigérant !

Les Coureurs des Bois s’inscrivent dans la continuité culturelle des amérindiens. Une sorte d’hérédité qui leur permet de vivre en adéquation parfaite avec la forêt. Il n’y a là rien d’inné, rien d’instinctif ! Or, ces hommes des bois sont perçus comme des frustres, des primitifs. Pire, ignorants les codes de la civilisation, ils seraient dans l’ignorance de vivre dans l’Eden et donc étrangers au Paradis ! A méditer… Ce n’est pas le cas de Dick Proenneke ni d’Alexander Supertramp qu'on associe bien volontiers à cette mouvance mais qui sont, eux, particulièrement conscients de ce qu’ils laissent derrière eux.

Le paysage porté à l’écran a plus d’impact sur le spectateur que les quelques pauvres lignes du roman de Krakauer sur le lecteur. L’univers multimédia dans lequel nous baignons a sûrement permis à la littérature de rompre avec la grande tradition – souvent chiante - des descriptions - qu’on sautait allègrement d’ailleurs ! Plus besoin de décrire puisque les mots, les noms, auraient désormais une telle résonance, un tel pouvoir d’évocation qu’ils libèrent l’auteur de longues envolées – j’avais d’abord écrit diarrhées ! Peut être que le Nature Writing arrive à point pour réhabiliter le discours sur la Nature. Mais je ne suis pas un spécialiste...

On est saisi d’admiration et d’émerveillement devant ces paysages. Comme des natures mortes. Le regard nous projette dans ces réalités virtuelles avec enchantement. Mais la séance terminée, le rideau tombe sur un rêve brisé. Nous sommes nous aussi, finalement, étrangers au Paradis !

Voilà une perception très romantique. La nature est belle. Elle ouvre la porte aux mystères de la création. Elle nous renvoie aussi brutalement à la fracture – jamais réduite - entre nature et culture, entre le bien et le mal. Jean Jacques Rousseau, par exemple, voyait dans la nature la source même de la vertu et du bonheur, un refuge, un havre de paix et de consolation, un asile qui permet de renouer avec l’innocence primitive. Chateaubriand, quant à lui, évoquait l’idée que la majesté de la nature atteste de l’existence de Dieu.

On pourrait en rester là des banalités, mieux vaut aller chercher outre-Atlantique une recette de l’hédonisme. On minimise trop souvent la créativité de la philosophie américaine. Dommage. Le 19ème siècle a accouché du transcendantalisme, tout à la fois critique sociale et vision originale du développement personnel et du bonheur.

Le transcendantalisme n’est pas une école dogmatique, c’est un collectif de libres penseurs inspirés par le protestantisme, le romantisme et l’idéalisme allemand et par les religions asiatiques, l’hindouisme et le bouddhisme et tous engagés dans tous les grands débats de société de leur époque : lutte contre l’esclavage, le génocide indien, le féminisme…

Ralph Waldo Emerson dans son essai « La nature » encourage le lecteur à lever le nez de ses bouquins, à se détacher de l’exégèse des anciens pour développer son intuition, s’extasier devant le spectacle de la nature, y puiser le plaisir des yeux, jouir de la vérité et percevoir l’esprit universel. C’est une démarche personnelle. Solitaire même. Une quête d’innocence. Une véritable révolution personnelle qui passe par une expérience mystique, poétique, une communion avec la nature, de façon à développer et consolider une vraie confiance en soi, à se sentir pleinement vivant. C’est un peu juste, bâclé, allez jeter un coup d’œil sur le dossier que Michel Puech consacre au transcendantalisme !

Mais c’est Henry David Thoreau qui est le plus connu – en France - grâce aux rééditions régulières de « Walden ». Est-ce que c’est ce journal que Chris McCandless a glissé dans ses bagages ? En tout cas l’auteur y retrace par le menu son expérience de vie en autarcie.

Pour gagner en efficacité, je vous livre tout rond quelques lignes que Michel Granger lui a consacré dans l’encyclopédie thèmatique Universalis/Le Figaro en 2005, c’est parlant :

« Homme de lettres, naturaliste et écologiste, Thoreau a créé un personnage iconoclaste de sage vivant dans les bois afin de mieux dénoncer les erreurs de l’Amérique du milieu du 19ème siècle, et ses manquements aux idéaux proclamés. Sa voix discordante l’a longtemps fait rejeter. Mais cet intellectuel contestataire a fini paradoxalement par représenter divers aspects de l’identité américaine : pionnier plein de ressources, fermier indépendant, rebelle aux institutions, amoureux de la nature sauvage, individualiste et moraliste intransigeant, il est devenu un héros culturel. »

Il est tout à fait probable que McCandless soit justement un héritier de cette philosophie. Mais le déclencheur de son escapade est ailleurs…  

sandrine  

Autant j'ai eu le sentiment que le paysage était étriqué dans Sukkwan Island, autant là, je les ai bien vu les grands espaces ! Mais j'ai triché. J'ai vu le film ! Alors peut être est-ce mon imagination qui est étriquée au final ?!

 

Quoiqu'il en soit, je me suis trouvée absorbée par cette aventure et là encore, se ne sont pas tant les paysages que le personnage qui m'a interpelé et les raisons qui l'ont poussées à partir.



Avant le Magic Bus en Alaska, c'est déjà tout un périple pour cet aventurier. Deux ans passés sur la route "pour anéantir l'imposteur qui vit en moi". Ah ? Ainsi donc, Christopher qui s'est lui-même rebaptisé Alexander Supertramp le Vagabond fuit quelque chose ? Alors comme ça, on ne va pas au casse pipe par hasard ? Pas seulement ?



Sa quête à lui, outre la vie au grand air avec pour s'en sortir un livre sur les plantes comestibles, un sac de riz, un couteau, un fusil, ses mains et son cerveau, c'est d'effacer peu à peu ses traces derrière lui. Il disparaît, comme s'il se défaisait, jour après jour de tout se qui la construit (ou déconstruit ?) jusque là. Deux ans pour se peler tel un oignon laissant tour à tour les proches, l'argent, le confort, la société de consommation… Deux ans pour se déshabiller sur la route et se rhabiller progressivement, se nourrir des gens formidables qu'il rencontre au gré de son errance.



Christopher est dans la démesure. Certes, il est un aventurier dans l'âme. Il part vivre sa vie. Il veut se frotter à l'immensité de Dame Nature et se retrouver face à lui-même. Il veut se prouver qu'il peut se suffire à lui-même. Mais avant tout il fuit. Il fuit le matérialisme et le paraître de ses parents. Il a rempli son contrat vis-à-vis d'eux en obtenant son diplôme et maintenant, d'un accord unilatéral, il part. Il veut surtout la vérité, celle qu'on cache, celle qu'on élude. Il fuit l'insupportable mensonge de ses parents.



Mais voilà ! Il aura beau y faire, rien ne réparera jamais le mensonge et la trahison qui sapent à jamais son identité. Il croyait au coup de foudre de ses parents, à leur mariage immédiatement après leurs études. Et voilà qu'il apprend que son père à connu un premier mariage et qu'il avait une liaison adultère avec sa mère. Il apprend aussi que son père a déjà un fils qu'il abandonnera pour sa mère, sa sœur et lui-même. Tous ses fondements s'écroulent. Il devient un bâtard et ne se sentira plus jamais légitime que dans cette reconstruction identitaire qu'il vise en échappant à la réalité proposée par ses parents. Ainsi, Christopher découvre la vérité bien triste du couple parental et décide de la garder pour lui. De leur côté, ses parents ont bien trop peur de le faire souffrir et restent sur leur première version idyllique.



C'est ce mensonge et cette trahison qu'il fuit. La relation tronquée et irréparable "enfant/parents". L'enfant meurtri, mais désespérément attaché à ses parents. Il fuit en mettant de la distance et des silences. Il disparaît et se renomme comme pour prendre une nouvelle identité et un nouveau départ.



Sur son chemin, il croise des personnes exceptionnelles qu'il ne peut s'empêcher de quitter alors qu'il commence à s'attacher. De quoi a-t-il peur ? En qui n'a-t-il pas confiance ? En eux et leur prétendue tendance à mentir sur les relations ? En lui et son incapacité à discerner leurs éventuels mensonges ? A chaque nouvelle rencontre, j'ai voulu croire qu'il allait rester. Avec ce couple dont le fils est parti lui aussi sans plus donner de nouvelle. Jusqu'à ce vieil homme qui lui propose de l'adopter. Mais comment le pourrait-il ? Il s'agit d'un enfant blessé au plus profond de lui-même dont les repères ont été fortement ébranlés. Les parents qui doivent pouvoir être les personnes les plus sûres sont devenus "insecur". Ils ne sont plus dignes de confiances et avec eux, plus aucun adulte ne peut l'être.



Dans l'article que j'ai écrit au sujet de Sukkwan Island, je désapprouvais la position des critiques selon laquelle le père était responsable du suicide de son fils. J'y indiquais que l'on pouvait considérer une responsabilité partagée entre le père suicidaire et égoïste, le fils qui ne parlait que très peu ne leur donnant aucune chance de se livrer mutuellement des explications et la mère, consciente des défauts des son ex mari et de son incapacité à aboutir quoique ce soit.



Dans ce film, ce que je ressens, c'est que la conduite des parents est en grande partie responsable du comportement d'Alexander Supertramp, de sa fuite et que, par voie de conséquence, s'il meurt, c'est un peu de leur faute, même s'il a malheureusement simplement confondu deux plantes et mangé celle qui n'est pas comestible. Parce que la mort d'un jeune n'est pas "normale", parce qu'elle n'est pas dans l'ordre des choses, nous avons tendance, en tant que parents nous même à chercher et à trouver un responsable. Je crois qu'il s'agit là d'une pensée protectrice de parents soucieux de leur progéniture et qui s'interrogent très souvent sur leur propre capacité à être de "bons" parents. Mais peut-on toujours l'être ?



Je pense que là encore, les responsabilités sont partagées. Même si Christopher alias Alexander Supertramp est un réel aventurier, même s'il possède une vision du monde bien à lui, même si sans ce mensonge il aurait sans doute pris la route, il a le tort d'avoir lui-aussi menti. Il a menti par omission. Il n'a pas révélé à ses parents qu'il connaissait la vérité sur leur union. Or, on peut imaginer que s'il en avait parlé, il aurait ainsi donné à ses parents la possibilité de crever un abcès. Il avait ensuite le choix de leur pardonner ou pas, mais il se donnait la possibilité d'entendre une explication acceptable ou non à ses yeux. Plutôt que de les confronter à leur propres mensonges, plutôt que de risquer de créer un conflit et peut être une rupture, il fait le choix du silence … et de la rupture. Il ne laisse aucune chance à ses parents, ce couple parental par ailleurs défaillant par leurs disputes incessantes et leur incapacité à se séparer. Christopher ne les punit-il pas de leur erreur en disparaissant sans laisser de trace ?



L'ironie, c'est qu'il disparaitra à cause d'une simple erreur qu’il a commise. Une inversion entre deux plantes qui se ressemblent (Errare humanum est …).

Je le regrette beaucoup car il venait aussi de découvrir que les petits bonheurs de la vie ne valent d’être vécus que s’ils sont partagés. Qu’il avait, semble-t-il, pris la décision de retourner vers les hommes. Mais la petite rivière qu’il a traversée à l’aller est devenue grosse et tumultueuse, dangereuse et Alex n’aime pas du tout l’eau. Il revient alors vers le Magic Bus en attendant …

 

 En guise de conclusion. Parce qu’il en faut une. Parce que j’ai le sentiment qu’on tourne autour du pot depuis le début. Je vais par facilité vous livrer une longue citation de Jack London. « L’appel de la forêt » ! La métamorphose de Buck : arraché aux siens, attelé au traîneau, devenu leader de sa meute, hyper adapté à son environnement et qui rompt par la force des choses avec la domestication pour rejoindre la meute des loups. Alors, cet appel ? Un chuchotement ? Une subversion ? Un révélateur ? Nous ne vibrons pas tous aux mêmes émotions. Nous ne sommes pas tous hyper intuitif. Est-ce que c’est à ce même appel auquel Chris McCandless a cédé ? J'aime assez cette idée que l'intuition raisonne en nous...  moa2

 

« Les jours passaient rapidement à ce travail formidable. Les chiens n’avaient rien d’autre à faire que de rapporter au camp de temps à autre le gibier, tué par Thornton, et en cette période, Buck passa de longues heures à rêver au coin du feu à ces choses primitives dont il avait la confuse nostalgie.

 

Alors, aux visions troubles des époques lointaines venaient se joindre l’appel qui résonnait au fond de la forêt, éveillant en lui une foule de désirs indéfinissables et d’étranges sensations. Mû par un pouvoir plus fort que sa volonté, il partait en quête, cherchant obscurément à découvrir l’origine de l’écho qui résonnait en lui. Errant dans la forêt, il humait avec ivresse la senteur de la mousse fraîche et des herbes longues couvrant le sol noir, parmi l’humus séculaire ; et ces odeurs salubres le remplissaient d’une joie mystérieuse déjà ressentie, lui semblait-il.

 

[…] Puis il rentrait au camp et s’étendait de nouveau près du feu pour rêver.

 

Mais soudain, il levait la tête, dressait les oreilles, écoutait, plein d’attention. Obéissant à l’appel entendu de lui seul, il bondissait sur ses pieds et filait droit devant soi, pendant des heures, sous les voûtes fraîches de la forêt, au fond du lit desséché des torrents, dans les grands espaces découverts et fleuris. Mais, par-dessus tout, il se plaisait à courir ainsi dans la pénombre odorante des nuits d’été, alors que la forêt murmure dans son sommeil, et que ce qu’elle dit est clair comme une parole articulée. A cette heure, plus profond, plus mystérieux, plus proche aussi, résonnait l’Appel – la Voix qui incessamment l’attirait, du fond de la nature. »

  into the wild 25

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