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J’ai lu « Le Robinson suisse » pour la toute toute première fois un été à Villers-Cotterêts. J’étais en cale sèche en plein rallye lecture. Je m’étais sifflé « Les conquérants de l’impossible » de Philippe Ebly mais mon cousin prenait le large avec « Les six compagnons » de Paul-Jacques Bonzon. Easy, il surfait sur une série florissante !

Sans coup de cœur sous le coude j’ai quitté la librairie et jeté mon dévolu de dépit sur un prix d’excellence. Un gros volume rubicond – pas un cubi de rouge ! – un beau morceau dans le gîte où on aurait pu tailler sans souci 3 ou 4 bibliothèques vertes. De la littérature au kilo. A lire sur un lutrin ou sur un billot !

Ma chambre à coucher toute en boiseries, en parquet, en lambris, en meubles rustique sentait bon l’encaustique. On aurait dit une cabine de transatlantique. Un halo laiteux traversait le hublot et les rideaux ondulaient sous une légère brise. Un spot de lecture magique ! Mais attention, j’entrais dans une zone de turbulence…

« Le Robinson suisse » plagie-t-il celui de Defoe ? Evidemment puisqu’il en reprend pas à pas les étapes et les ingrédients. A ceci près qu’il met en scène une famille au grand complet et plus l’homme seul. Mais en matière de robinsonnades on parle aimablement de ré-écritures.

En tout cas c’est un roman majeur qui contribue à l’amplification du mythe. C’est tout à la fois un roman d’aventure et un roman didactique. Dédié à la jeunesse. Adoré. Mais abîmé dès sa première traduction en français par Madame de Montolieu qui ne put s’empêcher de tricoter quelques chapitres additionnels pour des lecteurs addicts sur fond de mère naufragée et ses deux filles, de sauvages, de missionnaire, etc…et de clore une aventure qui s’achevait certes un peu brutalement à l’origine. Or ce n’était que le début de la curée…

« Je vous ai demandé souvent, avec instance, de la faire paraître (la suite et fin) et de me l'envoyer à mesure pour la traduire. Vous me l'aviez fait espérer, mais vos occupations ne vous ayant pas laissé le temps nécessaire pour ce travail, ayant appris de vous qu'il n'était pas même commencé, et m'étant engagée avec mon libraire pour un temps fixé, j'ai dû vous demander la permission d'y travailler seule, d'après un plan dont j'avais conçu l'idée. Vous avez eu la bonté d'y consentir, et je me suis mise à l'ouvrage, regrettant beaucoup de ne plus écrire d'après vous, et convaincue que votre Robinson perdrait beaucoup à n'être pas continué par son estimable auteur. »

D’autres fans s’engouffrèrent dans la brèche à commencer par Adrien Paul et son pénible « Pilote Willis » (1855) dont je n’ai à ce jour malheureusement jamais pu dépasser la moitié du volume - Overdose de mièvrerie ! – et Jules Verne - himself – qui publia une suite sous le titre de « Seconde patrie » (1900).

N’empêche, « Le Robinson suisse » est un roman cultissime. A l’origine de très très nombreuses rééditions et adaptations : au cinéma (Walt Disney), en dessin animé (« Flo et le Robinson suisse »), en feuilletons à la télévision dont le très récent « Lost in space » produit par Netflix…

« En 2046, suite à un impact d'astéroïde, la vie sur Terre devient de plus en plus difficile. Les membres de la famille Robinson sont sélectionnés pour quitter la Terre avec la 24ème vague de colons et reconstruire leur vie sur la planète Proxima Centauri b.

John et Maureen Robinson, ainsi que leurs trois enfants — Judy, Penny et Will — montent à bord du Résolution afin de s'établir sur leur nouvelle planète grâce aux vaisseaux de colonisation de type Jupiter embarqués à bord. Mais un grave incident durant leur voyage les contraint à atterrir sur une planète inconnue et glacée, et ils se retrouvent face à un robot extraterrestre. Les colons vont devoir faire de nouvelles alliances et travailler ensemble pour survivre dans un environnement hostile, à des années-lumière de leur destination prévue. »

L’originalité de ce « Robinson suisse », c’est son parti pris pédagogique puisqu’il semble emboîter le pas aux réflexions que développe déjà Jean-Jacques Rousseau dans son traité d’éducation où il voit dans « Robinson Crusoé » un éloge à l’éducation naturelle qu’il veut pour son « Emile » (voir sa leçon sur l’orientation en forêt de Montmorency).

Le « Robinson suisse » devient un modèle d’école buissonnière que vivent les lecteurs par procuration. Fractionné en courts chapitres il est l’occasion d’autant de leçons de choses, improvisées et instructives, de leçons de morale, d’apprentissage des gestes professionnels, de développement personnel. L’observation, la déduction, l’expérimentation sont au cœur de cette formation qui n’exclue en rien le livre puisqu’en hiver, nos jeunes Robinsons claquemurés dévorent la bibliothèque de bord sauvée du naufrage. Des auteurs tels que Thomas Mayne Reid dans « Les Robinsons de Terre Ferme » par exemple imiteront cette formule. Il suffit de parcourir les tables des matières respectives pour s’en convaincre !

C’est d’ailleurs dans l’optique de mettre à jour ces « leçons » qu’un Pierre-Jules Hetzel alias P.-J. Stahl s’autorise à actualiser le roman dans sa version dite « Le nouveau Robinson suisse » dans lequel il met à jour les connaissances, corrige les erreurs et veille à étoffer la personnalité des personnages. C’est tout de même le pygmalion de Jules Verne !

Même intention chez Jules Gros qui intitule son adaptation « Les Robinsons suisses » sous-titrée « édition revue et mise au courant des progrès de la science » :

« [Johann Rudolf Wyss] a de plus, avec une habileté sans pareille, dissimulé dans une action toujours remplie d’intérêt, une étude de la faune et de la flore du globe, qui, à l’époque où il vivait, répondait largement au besoin de l’instruction.

Là seulement doit commencer le rôle de la critique ; là seulement nous devons constater l’insuffisance scientifique du Robinson suisse, mais même le danger qu’il y a à mettre cet ouvrage entre les mains des enfants qui y puiseraient en s’amusant une série d’enseignement directement contraires aux vérités scientifiques […].

M. Jules Gros, l’auteur du nouvel ouvrage que nous offrons au public, entreprit de reprendre ligne par ligne, alinéa par alinéa, le livre primitif, d’élaguer les choses inutiles ou qui ne sont plus de notre époque, de rectifier tous les documents d’histoire naturelle qui étaient erronés. C’était un travail de bénédictin. »

Il ajoutera également quelques chapitres sensés expliquer de façon rationnelle la provenance fantaisiste d’animaux connus sous différentes latitudes avec la découvertes des vestiges du naufrage antérieur d’une arche de Noé ayant collecté des espèces disparates pour un muséum.

Sacré succès que ce roman de Johann David Wyss ! Le récit à priori sans prétention d’un pasteur suisse pour ses enfants ? Peut-être même pas destiné à être publié puisque c’est l’un de ses fils Johann Rudolf Wyss, lui-même devenu professeur de philosophie à Berne, qui l’adaptera et le publiera en 1812. Un autre de ses fils, peintre animalier et paysagiste, Johan Emmanuel Wyss l’illustrera également. C’est donc un roman familial à double titre. Une de ces histoires de veillée ou de coucher.

J’imagine assez bien Johann David Wyss projeter sa propre famille dans une aventure éducative et édificatrice. Une aventure qui met en valeur les vertus de l’homme (travail, effort, patience, prévoyance) et sa foi en Dieu. Qui sert également de leçons pour découvrir le monde de façon amusante, de vulgariser les sciences et techniques. En tout cas un récit qui a marqué l’imagination de ses enfants.

Toutefois, beaucoup de critiques s’élèvent aujourd’hui encore pour dénoncer l’irréalisme et les incohérences du récit, l’inconsistance de l’intrigue, sa mièvrerie, son ton moralisateur, paternaliste, l’indigence du style. Pourtant ses adaptations prouvent à quel point il est toujours d’actualité. C’est le propre de mythe !

 

 

La cabane dans les arbres est l’un des ingrédients du récit qui restera gravé dans l’imaginaire collectif. Elle est d’abord Intégrée à d’autres robinsonnades « Robinson et Robinsonne » de Pierre Maël, « Tarzan » d’Edgar Rice Burroughs, etc. Devient l’attraction du Plessis-Robinson avec sa guinguette dans les arbres. Puis de « Adventure isle » dans les parcs Disney. On la trouve désormais dans tous les coffrets cadeaux de week-ends exotiques et romantiques au même titre qu’une nuit dans une yourte ou une roulotte, etc.

Autour de ce donjon, la famille Robinson organise son fief, nomme les lieux – une représentation spatiale bien pratique pour évoquer sans détour les allers venues des personnages – de façon à s’approprier « l’île », à la coloniser et autour de ce point central créer une campagne arcadienne, un lieu idyllique, paradisiaque, symbole de l’âge d’or. Mais plus prosaïquement représentatif de l’idéal aristocratique de l’époque si l’on en croit quelques commentateurs autorisés.

Le récit ? Tout le monde le connaît sans le connaître. Parmi les nombreuses versions j’ai choisi de relire la libre adaptation de Jean Sabran illustré par son frère Guy dans la Bibliothèque Rouge et Or. J’avais plein de titres de cette série légués par mon père dans ma bibliothèque d’enfant. Allé, c’est parti :

Parce qu’ils ont hérité d’un lointain cousin, Joseph Stark, sa femme Elisabeth et leurs quatre enfants (Frédéric, 15 ans – robuste et énergique ; Ernest, 13 ans – studieux et dolent ; Rudly, 12 ans – espiègle et étourdi et Fritz, 8 ans – doux et gai) décident de quitter la Suisse pour s’installer en Amérique.

Au cours de la traversée le navire de migrants essuie une terrible tempête. Et lorsque le bateau s’embroche sur un écueil, les passagers sont balayés sur le pont par une lame au moment d’investir les chaloupes de sauvetage, à l’exception de la famille Stark restée à l’abri dans leur cabine. A quelques encablures on devine une terre.

Le calme revenu, les Robinson prospectent le navire de la cambuse, en passant par l’armurerie jusqu’à la cale où s’agite le bétail, pour réunir d’urgence un équipement de survie à bord d’un radeau insolite fait de tonneaux sciés en deux et assemblés. Ils y entassent pêle-mêle des armes et de la poudre, des tablettes de bouillon et des biscuits, des outils et des ustensiles, de la toile pour fabriquer des tentes. Libèrent des animaux dont deux dogues Turc et Billy et filent vers l’estran d’une rivière qu’ils aperçoivent au loin.

 

 

Sur le rivage, chacun s’active pour monter le campement : tente, matelas de mousse, foyer, ramassage de crustacés et de coquillages, chasse à l’agouti. Puis le père et son aîné partent en reconnaissance. Suivent la côte. Aperçoivent des espars d’épave mais aucun survivant. Et reviennent tout de même de leur périple les bras chargés de canne à sucre, de noix de coco, de calebasses évidées en guise de saladiers et d’un petit singe échappé aux crocs des chiens affamés. La nuit, le campement est attaqué et des chacals mis en déroute par les chiens et une salve de fusil.

D’autres allers-retours permettent d’arracher à l’épave des légumes secs, de la charcuterie, des salaisons, des couchages, un arsenal d’armes et de sauver les animaux domestiques affublés de flotteurs en liège.

Elisabeth de son côté ne perd pas son temps et découvre dans les environs un bosquet d’arbres remarquables dans les frondaisons desquels elle imagine déjà mettre sa famille en sécurité. Après une courte hésitation, Joseph se met au travail. Récupère des planches, des madriers. Joue les charpentiers dans les branches et aménage un plancher, des garde-corps, un toit en toile de tente. Ils sont désormais à l’abri des fauves. Comme des seigneurs dans leur donjon une fois remontée l’échelle de corde.

 

 

Leur nouvelle vie est rythmée par les travaux d’aménagement, l’entretien des animaux domestiques, les parties de chasse, les prières. L’ambiance est au beau fixe et le confort s’améliore à chaque retour de l’épave qu’on désosse désormais : meubles, coffres, portes, fenêtres, etc. Père et fils s’attèlent enfin au montage d’une chaloupe trouvée en kit dans le ventre du navire qu’il faudra saborder à la dynamite pour l’en extraire.

L’île – rien ne l’authentifie – est paradisiaque. Elle offre ses trésors à qui sait observer et reconnaître au détour des promenades, les épices, les fruits exotiques, les plantes industrielles (caoutchouc pour les bottes par exemple), les champs de pomme de terre sauvages, le manioc, le gibier. Car les Robinson ont la gâchette facile. Tout passe à la casserole. Les semences de légumes et de céréales, les plants d’arbustes fruitiers donnent vite naissance à un jardin et des vergers.

 

 

Vient le temps de l’exploration. La famille découvre des paysages magnifiques qui lui inspirent de nouveaux aménagements : étables, coraux, verger, champs, ponts & chaussées, fortifications, etc. Et lorsque la saison des pluies arrive elle quitte son château dans le ciel et se réfugie dans des grottes qu’elle aménage à grands coups de barre à mine pour faire un habitat troglodyte spacieux.

Les saisons se succèdent. L’entretien du domaine ne laisse pas un instant de répit. Les récoltes viennent en abondance. L’hiver, la famille se confine dans sa caverne. Aux leçons de choses quotidiennes, aux expérimentations, au bricolage succèdent les études sur la base des livres sauvés de la bibliothèque du bord : géographie, astronomie, mathématiques, histoire naturelle, langues.

L’année suivante Frédéric propose à ses frères de fabriquer un kayak. Un projet qui canalise toute leur attention et leur énergie. Le jour du test, Frédéric est emporté par le courant. Son père et ses frères le retrouve empêtré au milieu des rochers aux prises avec un morse qu’il vient de harponner.

Les Robinson découvrent sur la plage une baleine échouée qu’ils dépècent au plus vite au milieu d’une nuée d’oiseaux venus becqueter. Ils en tirent des tonneaux de graisse et du cuir. Au même moment un énorme boa sème la terreur, étouffe l’âne dans ses anneaux et le gobe. Ils ripostent en le mitraillant, en l’empaillant et battant la forêt à la recherche de nids. Mais c’est sur une harde de pécaris qu’ils tombent et qu’ils déciment de la même façon qu’ils avaient passé par les armes une bande de singes soupçonnés d’avoir saccagé leur métairie et effrayé le bétail.

Nouvelle excursion en direction d’une chaîne de montagnes qui les enferme. Ils traversent un défilé et atteignent une savane aride sous un soleil de plomb. Croisent un troupeau d’autruches dont ils capturent un individu au lasso. Mais l’autruche est rétive et ne se laisse pas apprivoiser ainsi pour servir de monture.

Plus tard, les garçons repartent seul en bootcamp dans la région. Font le tour du propriétaire, découvre que les barrières installées dans le défilé pour les protéger des invasions d’animaux sauvages ont été détruites et que des plantations saccagées. Ils installent donc un mirador pour surveiller les alentours et Frédéric part en kayak explorer cette contrée méconnue.

Dix ans se sont écoulés. Les Robinson ont pris racine et admire leur œuvre avec fierté. Les enfants sont tous désormais de jeunes adultes bien éduqués. Malgré tout ils conservent une certaine nostalgie de leur patrie, des Alpes et du lac de Constance. Mais un événement va bousculer leur quotidien.

 

 

Un jour qu’il est parti en mer à bord de son kayak Frédéric découvre un banc d’huîtres perlières et tue un albatros qui porte à la patte l’appel au secours d’un naufragé. Il profite d’une nouvelle excursion à la voile pour fausser compagnie aux siens et tenter de trouver ce naufragé.

Dans un îlot il aperçoit d’abord un panache de fumée puis une jeune femme, Miss Jenny Montrose, habillée en matelot. Elle a survécut trois ans ainsi, seule rescapée d’un naufrage. Formée comme un garçon manqué par un père colonel de l’armée britannique stationné en Indes, la jeune fille a trouvé les ressources pour survivre et trouve désormais auprès des Stark toute l’affection d’une famille aimante.

Au sortir d’un dernier hiver, alors que Frédéric et Rudly font le tour et la maintenance des installations. L’écho d’une salve de canon répond à leurs tests de tirs sur l’île au requin. La stupeur fait place à la joie puis à la crainte que le vaisseau qui se profile soit un pirate malais. Avec circonspection Joseph va à leur rencontre et rassuré par le pavillon britannique prend contact avec les officiers.

Après des échanges courtois les Stark invitent à terre les officiers et des passagers, la famille Wolston dont le mari malade décide rapidement de rester sur cette « île » heureuse. Seuls repartiront vers l’Europe Miss Montrose, Frédéric et Ernest avec le capital des dix ans d’accumulation de perles, ivoire, épices, fourrures en guise de capital pour s’installer. Leur père leur confie enfin le manuscrit de leurs aventures à faire publier pour l’amusement et l’éducation des jeunes lecteurs.

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